Au risque de la fraternité

J’avoue. Trois jours avant de regagner la France, de retrouver Paris, j’ai craint. J’ai craint de retourner « chez moi ». Dans ce pays où il fait de moins en moins bon vivre.

C’est le risque du voyage. Tel Usbek et Rica des Lettres persanes qui permettent à Montesquieu de porter sur les moeurs de son temps un regard distancié, ironique et critique, c’est depuis la Laponie, depuis le vaste empire des élans, des rennes et des saumons, une fois le cercle polaire franchi, quand je me retrouvai au fin fond d’une taïga sauvage qui n’attise nulle convoitise, que je mesurai, pour ma part, toute l’étendue du stress, de l’agressivité, de la violence du monde dans lequel je vis, des eaux troubles, agitées, tourmentées dans lesquelles nous nous mouvons, nous débattons, dans une nage parfois à contre-courant à l’instar des fameux poissons arctiques. Et pas juste pour des raisons épidémiques. Ou climatiques.

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Saint Paul n’était pas lapon

Nuits blanches. Bel oxymore.

Laudes me prêtent à sourire ce matin. Ce n’est pas tous les jours que saint Paul fait sourire. « Frères, puisque vous n’êtes pas dans les ténèbres, le jour du Seigneur ne vous surprendra pas comme un voleur (…) » (Première épître aux Thessaloniciens 5, 4-5). Pas dans « les ténèbres » … pour sûr … près de quinze jours que l’obscurité, le noir, la nuit m’ont quittée, ont déserté des journées qui ne formeraient qu’un seul jour, uniforme et monotone, si je n’étais soumise aux rythmiques sociale et biologique. 

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Ita missa est

Ce matin de mi-juillet je découvre, surprise, le dernier Motu Proprio1 du Pape François2, relatif à la messe « tradi », comme on dit, à la liturgie « tridentine »3, pour faire plus savante, afin d’unifier plus avant l’Eglise catholique.

Tridentine … Pour tout dire, voilà un mot que je ne connaissais pas encore il y a trois jours, quand je quittai Paris, notre chère paroisse riche de ses trois messes quotidiennes, pour gagner la province, l’Isère, le cœur en estive, certes, mais aussi l’âme en berne face au jeûne eucharistique programmé, imposé deux mois durant, les portes de l’église de mon petit village étant verrouillées depuis longue date.

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Pour qu’une porte s’ouvre

En vacances et parisienne lors du troisième confinement d’avril, j’en profite pour accueillir M. Essebki, président de l’Union des musulmans de Levallois-Perret, très investi dans le dialogue interreligieux de sa commune et partisan d’un islam républicain : « Un bon musulman, c’est quelqu’un qui aime la France ». 

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De la fraternité assassinée à une fraternité réconciliée

Au sujet de la Déclaration des Evêques de France à nos Frères juifs

En ce temps où s’éteignent un à un les tous derniers survivants des camps de la mort, on ne pourra jamais oublier l’histoire effroyable de la Shoah, conséquence de la haine gratuite et  séculaire des Juifs. « La Shoah ne doit pas être oubliée », affirme le Pape François, « car elle est symbole du point où peut arriver la méchanceté de l’homme quand il oublie la dignité fondamentale de chaque personne ».

Or, aujourd’hui encore, les croyants de confession juive, qui représentent 1% de la population française, sont la cible de plus de 4 sur 10 actes de violence.

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Ce que le jour doit à la nuit

L’hiver s’achève. Bonne nouvelle.

En sus d’une saison amenuisant nos jours, le contexte pandémique n’aura jamais autant confiné nos corps, assombri nos cœurs, enténébré nos âmes.

Cependant, au seuil d’une saison nouvelle, tirant bilan de ces mois passés, je n’aurai jamais autant éprouvé l’adage selon lequel plus la nuit est profonde plus brillante est l’étoile. Des étoiles qui, de découverte en rencontre, se multiplièrent à l’infini dans un enclos de vie pourtant étriqué par nos multiples contraintes et impossibilités.

Et pourtant la lumière fut ! Et elle jaillit !

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En épistolaire, depuis une glaciaire

Depuis le 2 novembre, confinement total en prison, dont l’accès est interdit aux bénévoles1. Aucun allègement. Pas même de couvre-feu.

Alors, pour continuer mes accompagnements, ce ne sera ni en présentiel, ni en virtuel, mais en épistolaire.

Un lien infime, un lien ténu, comme un fil de gant. Des plus précieux. Chaleureux. En ce temps hivernal. 

Mais surtout vital. 

Quand vous êtes surconfinés. Placés à l’isolement. Surcoupés du monde. Dans une cellule obscure. Parce que testés positif à la Covid.

Plus encore : lutter pour conserver l’humour. Pour ne pas devenir fou.

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Bagnard un jour, taulard toujours ?

Bonjour Delphine, qu’est-ce qui vous a motivé pour devenir Visiteuse de prison ?

Une rencontre, une écoute.

La rencontre, d’abord, avec un jeune sortant de prison sur le quai d’une gare. Il était complètement paumé, tout miséreux. Il demandait une pièce pour un café. Plus tard, j’apprendrai qu’on appelle cela une « sortie sèche », quand, libéré, vous vous retrouvez à la rue, sans rien ni personne, sans toit ni travail. 

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En eucharistie

Voilà. Cela fait une dizaine de jours que j’assiste à la messe tous les jours. En toute discrétion, en toute confidentialité. Rassemblement secret comme au temps des Romains, des persécutions chrétiennes. A la limite de devoir présenter un petit poisson tatoué sur le bras, en guise de patte blanche, pour que s’entrouvre la porte.

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Du « décrochage républicain »

Ce vendredi 13 novembre, dans mon collège des Hauts-de-Seine, cinq ans après la tuerie au Bataclan et en terrasses, à la question : « De quoi rêvez-vous pour demain ?», trois élèves de sixième sur vingt-huit d’affirmer : « De quitter la France.

– Pourquoi ?

– Car j’aime pas la France.

– Pourquoi ?

– Parce qu’elle n’aime pas les musulmans ».

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