Ce que le jour doit à la nuit

L’hiver s’achève. Bonne nouvelle.

En sus d’une saison amenuisant nos jours, le contexte pandémique n’aura jamais autant confiné nos corps, assombri nos cœurs, enténébré nos âmes.

Cependant, au seuil d’une saison nouvelle, tirant bilan de ces mois passés, je n’aurai jamais autant éprouvé l’adage selon lequel plus la nuit est profonde plus brillante est l’étoile. Des étoiles qui, de découverte en rencontre, se multiplièrent à l’infini dans un enclos de vie pourtant étriqué par nos multiples contraintes et impossibilités.

Et pourtant la lumière fut ! Et elle jaillit !

D’abord humble et discrète. Au cœur de la nuit. Nos petits lumignons de cire, fruits de notre industrie.

Sur nos balcons, des bougies par-ci, des lueurs par-là, le 8 décembre, pour la Première en Chemin, l’Immaculée Conception. Préservée de nos obscurités.

Ensuite, nos frères juifs poursuivirent, du 10 au 18 décembre, avec leur fête des lumières : Hanoukka. Huit jours durant, ils allumèrent chaque soir, l’une après l’autre, chacune des bougies de leur chandelier, en commémoration de la ré-inauguration du temple de Jérusalem profané, lorsqu’il fut voué au culte de Zeus en 164 avant notre ère. 

Des lumières pour commémorer un miracle. Celui, au fort du désespoir, quand tout semblait perdu, de la lumière retrouvée à la grâce d’une seule et unique fiole d’huile d’olive, réchappée de la profanation du lieu de culte. Second miracle : ce précieux liquide permit à la menorah1 de brûler non pas une journée, comme attendu, mais huit jours durant. Rendez-vous compte : emprunts au découragement face à leur temple saccagé, à deux doigts de tout abandonner, les rabbins se raccrochèrent à ce petit reste d’huile pour tout recommencer, pour rallumer les étoiles et espérer en un avenir meilleur.

Puis, au fort de décembre, passé le solstice d’hiver, le jour le plus court, la nuit la plus longue, christianisant le Sol invictus païen : Noël ! Et nous, de louer de concert avec les anges, le cœur habillé de joie et de lumière, la naissance du petit Enfant, de notre divine et salvifique Lumière, faite homme. Rien de moins. Naissance accompagnée elle aussi de miracles. A condition de voir, de ne pas manquer, à l’instar des bergers et des mages, le signe céleste conduisant à l’Enfant. A condition, aussi, de ne point demeurer les yeux fixés sur le signe et de contempler ce vers quoi il nous renvoie : le Verbe fait chair qui habite, aujourd’hui, parmi nous. Pour nous éclairer et nous montrer le chemin. Pour nous illuminer, sinon nous brûler, sans nous consumer, de toute Sa Lumière d’Amour. Miracle qui prend chair dans nos vies de Chrétiens. A chaque Eucharistie.

Pour moi, ils furent multiples les signes de Celui qui luit. Se multipliant comme le bon pain, comme une propagation de lumière, de bougie en bougie, à l’image de la Vigile pascale – vous savez, quand, par nos petits cierges, de main en main, de flamme en flamme, la lumière gagne, se propage, se déploie, du parvis jusqu’au chœur de notre église.

A l’aube, déjà, alors que, à la faveur d’une permission exceptionnelle pour le 24, je me rendis au devant de prisonniers particulièrement isolés et fragiles qui m’attendaient (comme le Messie, c’est l’cas de l’dire!) au terme de 61 jours sans visite, une étoile, luisant comme jamais je ne vis de ma vie, dominait ville, horizon et prison. « Eh ben ! L’étoile du berger est en grande forme cette année ! », me suis-je dit mi-amusée, mi-émerveillée, me voyant reine mage s’apprêtant à franchir enceinte, murs et grilles d’une pauvre crèche carcérale. Je ne croyais pas si bien dire ! J’apprendrai en effet le lendemain que Saturne et Jupiter étaient de la partie, qui unissaient leur brillance comme il y a deux mille vingt ans en arrière, lorsqu’ils guidèrent les Mages, aussi puissants qu’un phare2.

De lumière en lumière, éblouie, en joie, et par mon permis de visite exceptionnelle, et par l’astre, et par la messe autorisée sans couvre-feu, sans rabat-joie, sans extinction des lumières à 20 heures, c’est peu de dire que les détenus furent éblouis par le visage illuminé qui leur faisait face, reflet du cœur en joie, en feu, qui était mien en ce jour Anniversaire.

Pas même d’or, de myrrhe, d’encens à offrir. Pas même un sourire. A cause du masque. Pas même une chaleureuse poignée de main. A cause de la Covid. Seulement trois chocolats passés en douce et ma pauvre présence. Pour seule offrande. Notre face à face pour seul partage : notre petite huile d’humanité, en somme, étonnamment suffisante et suffisamment puissante, pour l’antre du mal irradier, de visage en visage, d’âme à âme. 

C’est que le bon petit Jésus était de toutes nos paroles ! Fallait entendre ça ! Ne pouvant me rendre à la messe, je partageai même le Pain de Vie avec l’un des criminels visités. Une hostie (elle aussi passée en douce), notre petit luminaire : tout le petit or de notre pauvre monde, toute Sa Lumière transportée dans ma custode ronde comme le soleil, présentée à l’homme ébloui qui me faisait face dans un minuscule parloir en bonne odeur de chapelle. Celui-ci conservera ma petite crèche métallique en souvenir de notre communion mirifique. 

Noël, Epiphanie et Chandeleur réunis au temple de nos cœurs. Où il faisait si clair, si chaud, si doux et si bon vivre. A en oublier la nuit, les frimas, nos prisons intérieures et les tourments extérieurs. Comme au sortir d’un long hiver rigoureux. Comme un nouveau printemps : la mise en branle d’une renaissance. Vivifiante !

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Ravie, je quittai Fresnes, m’en retournai dans mon cher dix-septième, tout à la joie de Noël. 

Telle une couverture invitant à l’assoupissement, la nuit avait tout recouvert depuis longtemps. La ville continuait cependant à scintiller de mille lumières artificielles. Comme au petit matin. Sauf que tout avait changé. Miracle cosmique, miracle eucharistique, miracle christique. Inépuisable, comme l’huile qui dans le temple n’en finissait pas de brûler. 

Je pensais en avoir terminé ; je rencontrai encore, sur le trottoir près de ma porte, Marc et Vincent, nos chers accueillis d’Hiver Solidaire, patientant, impatients de crécher : « On attend avant d’entrer ! On ne sait pas encore ce qu’on va manger ! Mais ce sera pas comme d’habitude, ce sera un repas de Noël, un repas de fête ! ». Et de glisser dans la main de Vincent quelques chocolats restants (refusés par Marc, peu gourmand). J’étais tout au petit bonheur de ses yeux pétillants comme ceux d’un enfant. Miracle de solidarité, de fraternité, dont chaque membre, partie prenante d’une seule et même chaîne, porte la lumière – Christophore. Dont chacun est pour l’autre huile, bougie, lumière, manne, pain : à l’image du Christ, un petit envoyé du Ciel, une éclaircie porteuse de vie et de joie, de charité et d’espérance qui éclaire et fait plein jour, qui permet de tenir et d’avancer, même au cœur de nos obscurités. Qui, à la faveur d’un nouveau printemps dans nos vies, permet de renaître, de reverdir, de refleurir. 

Et de resplendir.

Pour Les Cahiers de la Paroisse Saint-François-de-Sales

n°65 Janvier-Février 2021

1Nom hébreu désignant le candélabre juif (à 7, 8 ou 9 branches).

2– Un rendez-vous planétaire qui se produisit la dernière fois en 1226, qui se reproduira en 2080 – grâce d’en avoir été témoin !

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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