Cheval de Troie

Des heures à me remettre des tirs déchirant ces nuits dernières comme au cœur d’une guerre.

Des interpellations en bas de chez moi, au petit jour, accompagnaient ma course du dimanche matin.

Les sirènes depuis jeudi n’en finissent pas de retentir.

Couvre-feu, bal des troisièmes annulé, report de notre repas de fin d’année dans mon collège des Hauts-de-Seine : les cœurs ne sont pas à la fête.

Certains m’expliquent que l’on vit en plein décadence. Comme naguère à Rome. La fin d’une civilisation.

Plutôt que l’empire romain, c’est le bon et pieux roi Priam qui s’impose à moi, horrifié devant Troie en flamme, pour avoir accueilli en son sein le cheval des achéens.

Aujourd’hui, c’est une voiture bélier qui notre République déchire.

L’agitation visant la libération de détenus ne m’aura pas empêchée, vendredi dernier, de me rendre à la prison de Fresnes pour mes visites hebdomadaires. A ceci près que je décidai de privilégier, à celui des hommes, le quartier des femmes, persuadée d’y trouver une atmosphère plus douce et apaisée. Que ni ni, égalité en tous points : « Je crache sur la République !!!», criait-on à tue-tête depuis quelque fenêtre… Pourquoi tant de haine… ?

Et mon ado, le soir-même, de me demander : « Alors, t’étais où maman quand il fallait voter Jean-Marie Le Pen ? Puis Marine ?

– C’est bien simple mon fils, j’étais dans un collège privé où l’on me traitait de sale arabe à cause de mon nom de jeune fille. Je suis de la génération Touche pas à mon pote

– Ah, je comprends.

– N’oublie pas que ce n’est jamais noir ou blanc… ».

Je pense aux malédictions générationnelles dans la Bible, à notre incompréhension d’un Dieu vengeur sur plusieurs générations dans l’Ancien Testament1.

« Vengeur », vraiment ? Plutôt un Dieu fin psychologue qui connaît à fond le cœur de l’homme, véritable cocotte-séculaire qui, lourd de maux ravalés, de vengeance frustrée, de violence renfermée, finit toujours, un jour ou l’autre, via d’autres petits bras, par nous exploser au visage. A moins de pardonner, d’un profond travail de guérison, de résilience2. D’une nouvelle alliance.

Paris, lundi 3 juillet 2023

1Entre autres Nombres 14, 18 : « Je suis le Seigneur, lent à la colère et plein de bonté fidèle, qui supporte la faute et la révolte, mais sans rien laisser passer, et qui poursuit la faute des pères chez les fils sur trois quatre générations (…) ». 

2Suite et fin du même verset : « (…) Pardonne donc la faute de ce peuple autant que le commande la grandeur de ton amour et comme tu as supporté ce peuple depuis l’Egypte jusqu’ici ». Ibid

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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