Il y a 18 ans, à temps partiel je me mis, pour voir grandir mon fils.
Il y a 14 ans, à la grâce d’une conversion sur le tard, je conservai mon temps partiel pour me mettre au service de mes frères.
A relire mon histoire, je réalise à quel point, aujourd’hui encore plus qu’hier, l’un ne va pas sans l’autre : Dieu toucha mon cœur et aussitôt je me mis à Son service, plutôt qu’à Le prier (n’ayant pas, alors, rejoint pour autant l’Eglise catholique). Oui, aussitôt je me mis en route, telle Marie, lourde de Sa grâce, s’empressant chez sa cousine Elisabeth. Au point qu’aujourd’hui, ma vie, s’il fallait rédiger un CV, serait moins celle d’un plan carrière qu’une toile de bénévolat : là à temps partiel, ici à plein temps ; là pour des clopinettes (salaire de prof…), ici pour zéro kopeck.
Visitation de Saint Charles de Foucauld
C’est dire que j’ai fait le choix d’une vie à temps et à contretemps1 qui ne rapporte rien, que l’on ne peut comprendre sans le Christ, sans Son Evangile.
En effet, alors agnostique, je commençais tout juste mon bénévolat dans une association laïque que j’enfreignis l’interdit de donner quoi que ce soit (et encore plus à manger) en apportant, pour satisfaire la dernière volonté d’un mourant, la Communion à un détenu à l’agonie. Notre rencontre autour du Saint Corps fut telle que j’en devins catholique, me mis à fréquenter assidûment notre église, fit ma confirmation à Notre-Dame de Paris, il y a dix ans, le 28 mai 2013 : c’est dire qu’en retour du petit pain gratuitement apporté, je reçus bien plus, au centuple !
C’est peu dire que, depuis, le Sermon sur la montagne me parle à chaque visite, qu’en allant au devant d’enfants à enseigner ou d’hommes et de femmes souffrants, c’est au-devant du Christ que je me rends : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez recueilli ; nu, et vous m’avez vêtu ; malade, et vous m’avez visité ; en prison, et vous êtes venus à moi »2.
Et qu’ai-je découvert ? Qu’y a-t-il à gagner ? Rien de moins que le cœur du Royaume : « (…) recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous (…) »3. Rien de moins… : pas des paroles en l’air, mais une véritable expérience qui vaut le coup de se retrousser les manches et de s’y mettre vraiment. De se mettre en route. Au service de ses proches comme de son prochain. De ses sœurs et frères. Au service de notre communauté faite corps. De l’Eglise. Corps mystique du Christ.
Depuis je n’arrête pas. Ainsi suis-je, pour la paroisse, catéchiste, accompagnatrice au catéchuménat et coordonatrice du groupe de Dialogue interreligieux ; pour Les petits frères des pauvres, bénévole d’accompagnement de détenus isolés et, à domicile, de personnes âgées gravement malades. Je gère également une équipe de bénévoles, assure parfois des formations, représente mon association au niveau régional.
Accompagnement des personnes malades pour les Petits frères des pauvres
En sus de ma vie de famille et de mes cours dans un collège en banlieue parisienne. Sans oublier des actions ponctuelles, comme Hiver solidaire.
Parfois ça fait beaucoup, ça pèse beaucoup. On m’exhorte même à abandonner, pour me ménager, moins me fatiguer. Un prisonnier, il y a quelques jours : « Vous avez les traits tirés, vous devriez vous reposer. Nul n’est essentiel. Quelqu’un peut vous remplacer ». J’acquiesçais à son invitation, souriais de son sage discernement, avant qu’il ne me demande : « Et vous reviendrez-quand ? Dans quinze jours seulement ? ». Oui : personne pour prendre la relève pendant les vacances scolaires. Personne tout court pour prendre ma relève sur un terrain où j’oeuvre encore en solitaire… Oui, je sais Seigneur, la moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux4. Et plus encore, à l’ère du zapping, des ouvriers réguliers, fidèles et pérennes.
Il n’y a jamais eu autant de bénévoles en France (rien que pour les J.O de 2024, 300 000 proposant leur service !) : bonne nouvelle ! Vous êtes formidables !
Mais nombreux sont les besoins qui nécessitent un engagement sur la durée. Et c’est là que le bas blesse. De toute part, dans toutes les structures paroissiales et associatives, le moral est en berne, dans les chaussettes : on a dû mal à recruter des jeunes, des actifs, à l’heure où les seniors nous quittent…
Des seniors… J’entends des amis, des membres de ma famille me dirent : « Plus tard, quand je serai à la retraite ! J’irai voir des enfants malades à l’hôpital ! Je donnerai des cours de français à des migrants ! Je ferai des maraudes ! Assurerai une permanence à l’accueil paroissial ! Le catéchisme, transmettre la foi, pourquoi pas ? Mais plus tard ! ». Les années passent et à bien d’autres divertissements je les vois courir, forts du slogan : « Maintenant j’profite ! Après l’boulot, les enfants, je pense enfin à moi !».
Inversement, je voue une admiration sans bornes pour les actifs qui, jeunes professionnels ou en pré-retraite, dégagent du temps, prennent sur leur temps (qui, on le sait, c’est d’l’argent!), parfois une demi-journée complète, en semaine ou en week-end, pour se rendre utiles, pour générer non du profit, mais du beau, du bon et du bien dans quelque collectif. Rien que dans notre paroisse, une soixantaine d’actions possibles ! – qui tiennent plus ou moins bien sur la durée en fonction du nombre de bénévoles pour les porter.
Bénévole, bene volus : « Bonne volonté ; faire un travail non rémunéré de bon gré ; qui apporte son aide volontaire gratuitement ». Jésus ne serait-il pas le premier bénévole, lui qui ne toucha aucune rémunération pour les enseignements donnés, les guérisons et les miracles accomplis, pour tout le bien produit – si ce n’est celle de satisfaire la volonté du Père ?
Souvenons-nous de ses derniers gestes le Jeudi saint : le lavement des pieds et la fraction du pain, le service et l’eucharistie. Pas l’un sans l’autre. Marthe et Marie. Les œuvres et la messe. On n’est pas chrétien, qui plus est catholique, pour soi seul ; le Royaume ne s’établira pas sans autrui. Ce sont d’ailleurs des détenus musulmans ou évangéliques qui, régulièrement, m’en font la remarque : « Il n’y a que vous qui venez me visiter… Personne de ma communauté… ».
Si j’ose me permettre, s’il m’était possible de retoucher un tout petit peu la formule finale de la messe, je ne ferais point dire : « Allez dans la paix du Christ », mais « Portez la paix du Christ » à vos frères et sœurs ! Ita missa est ! Si Elles nous sanctifient, la Parole et la Table visent également à nous fortifier pour nous envoyer en mission5, en service, la semaine durant, avec Lui, par Lui et en Lui.
Il y a quatorze ans en arrière, ce n’est pas en mûrissant un projet qui me permettrait de donner un peu de mon temps que je suis devenue bénévole. Mais sur le coup de Sa grâce : l’expérience d’avoir tant reçu de joie et d’amour qu’il me fallait, comme un appel, comme un impératif, le rayonner, en faire bénéficier autrui. Je n’ai pas choisi mon bénévolat ; je n’ai fait que répondre Oui me voici, que Ta volonté soit faite au premier flyer tombé par « hasard » entre mes mains…
Bien sûr que le bénévolat apporte de nombreuses satisfactions (dont celles, non des moindres, de se sentir utile et apprécié, de donner, par le don de soi, un sens à sa vie) ; bien sûr que l’on reçoit bien plus que ce que l’on donne, mais plus je grandis dans la foi, plus j’encre mon service en Jésus Christ, plus j’expérimente que je suis moins bénévole (par trop laïc), que Sa servante, à Lui qui s’est fait homme, pécheur et notre serviteur pour nous servir, nous guérir et nous sauver. Moins bénévole encore que, comme Marie, Christophore, porteuse du Christ : une mission d’importance, pour les petits ouvriers que nous sommes, que d’apporter, gracieusement, pour le salut sinon de tous, du moins de ceux qu’Il met sur notre route, Sa paix et Sa lumière, Son espérance, Sa foi et Son amour. Mission d’importance qui nous incombe à tous, pour le bien de tous, dont le gain final n’est, rien de moins, que Son Royaume.
Groupe catéchisme – Maison Daubigny
Delphine Dhombres
Pour Les Cahiers de la paroisse Saint-François de Sales, juin 2023
1II Tim. 4, 2
2Matthieu 25, 35-36
3Ibid 25, 34
4Luc 10, 2
5Messe et mission provenant du verbe mittere = « envoyer »
2 réponses à Bénévole un jour, serviteur toujours