Hommage à ma mamie

Suzanne Jarmuzynski,

née Étiévant (8 avril 1926 – 25 septembre 2023)

Ma chère mamie,

Parce qu’il n’y a plus de prêtre dans nos petits villages, tu n’auras pas de messe. Pas d’eucharistie. 

Qu’à cela ne tienne. Connais-tu l’étymologie du mot eucharistie ? Eucharistie vient du grec eukaristia qui signifie « action de grâce, reconnaissance » pour les bienfaits reçus.

Des bienfaits, j’en ai tant reçus de toi. Oh, pas tant en mots, tu n’étais guère disserte, qu’en actes, qu’en actions, par ta seule présence, par ton seul exemple.

Aussi, est-ce à rendre grâce que je veux m’employer ici, ma chère mamie, pour tous les bienfaits reçus, qui m’ont façonnée, fait grandir, devenir celle qu’aujourd’hui je suis.

Bien que la liste soit longue, promis, je ne ferai pas plus long qu’une homélie de prêtre.

Au tout début de la Belle au bois dormant, trois fées bienfaitrices offrent chacune un don à la petite princesse. Pour faire court, je me limiterai donc à trois dons (assurément, pas celui d’être une excellente conductrice, malgré le généreux don reçu à mes dix-huit ans pour passer mon permis de conduire. Ceci dit, ne pas l’avoir est un point commun qui nous relie, en un sérieux atavisme, avec ta fille Pascale et ton petit-fils Sylvain).

Premier don. 

Du plus loin que je me souvienne, il y a quarante deux ans de cela, mon premier livre de grands offert à Lyon, dans l’alcôve des enfants rue de la Viabert, lors de mon entrée au CP, tiré de la bibliothèque rose, qui devait appartenir à l’une de tes filles, Pascale ou Myriam, alors que je savais à peine lire et écrire : L’auberge de l’ange gardien de la Comtesse de Ségur. Tu vois, il ne m’a jamais quittée…

Je me souviens encore de ce moment de fierté comme si c’était hier, comme si entre mes mains tu avais déposé le Saint-Graal, comme si tu m’intronisais en Littérature.

Un don sacré à mes yeux d’enfant qui augura de mon amour pour les livres et les Belles-Lettres, de mon devenir d’auteure et de professeure.

Te concernant, je me souviens encore de mon admiration sans bornes quand, jeune octogénaire, je te trouvai en train de lire Les raisins de la colère de Steinbeck : 639 pages, écrit en minuscule : pour une femme de ménage qui n’a ni son bac ni son certificat d’études, chapeau bas !

Deuxième don.

Au grand dam de ma famille celui-ci : le goût transmis pour les voyages touristiques. 

Comment ne pas rendre grâce là aussi ?

Assurément, tu fis de moi la plus heureuse des petites-filles en nous rendant complices sur les routes de Turquie et de Roumanie, dans les déserts du Maroc et de Jordanie, sans oublier les fleuves de Russie. Là encore, à l’ère des nationalismes, comment ne pas admirer ta curiosité, ton ouverture d’esprit, ton appétence pour l’exotisme ? Ton dernier voyage, tu le rêvais sur la muraille de Chine !

De plus, à qui dois-je mon goût pour les grandes randonnées par monts et par vaux, en montagne comme dans les champs, de trou du renard en tanière de loup, si ce n’est à toi ?

En ce temps de mémoire, impossible, enfin, d’omettre notre traversée de l’Atlantique (mais chut, c’est un secret je crois, tes enfants ne l’ont peut-être jamais su…). Une traversée qui ne se fit ni en bagnole, comme pour aller à Champagnole, ni en train, comme pour aller à la Tour du Pin, et encore moins en tape-cul, comme pour aller à Fontenu (pour reprendre une comptine que tu aimais nous chanter quand nous étions petits).

Non, une traversée de l’Atlantique…, en imaginaire…, pour gagner, depuis Southampton en Angleterre, New York, à bord d’un paquebot légendaire, le Titanic. C’était en 1997, lors de ta dernière visite à Paris, la première et unique fois que tu te rendis dans un cinéma : tu étais cramponnée à ton siège et je crois même que tu ne respirais plus quand nous nous retrouvâmes à la verticale lors du plongeon final…

Les balades, nous savions cependant les apprécier sans partir très loin, tout en restant autour de chez toi, dans les forêts servant d’écrin au lac de Chalain, desquelles nous revenions avec des bidons pleins de mûres, de noisettes et de fraises des bois qui finissaient en tartes ou en confitures (quant aux coins à morilles, nous dirons que tu es partie avec ton secret…).

Troisième don enfin, et non des moindres pour moi : le goût transmis pour l’Église, pour le Christ. D’aucuns diront même que là est le Trésor le plus important que tu me léguas quand, le dimanche, tu nous préparais, ma petite sœur et moi, pour assister dignement à la messe en la petite chapelle de Fontenu : gants blancs et sou en poche s’il vous plaît. 

Longtemps, d’ailleurs, je demeurai impressionnée par le crucifix, le petit bénitier et la branche de buis au-dessus de ton lit, qui semblaient même imposer un certain respect aux « araignées du soir… espoir », comme l’assurait ton cher proverbe (entre nous, j’aimais moins celui du matin, rimant avec chagrin, comme celui, immense, éprouvé à l’annonce de ton grand départ, pour ton dernier voyage, ce lundi 25…).

Dans l’Évangile selon saint Matthieu (11, 25-28), Jésus loue Dieu en ces termes : « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits ». Je Lui donne raison, ma p’tite mamie : guère instruite en sciences et des mondanités de la vie, tu l’étais en revanche de l’Évangile par ta vie, exemplaire, en vivant, en incarnant nombre de vertus évangéliques et mariales : ta modestie et ton écoute, ton intégrité et ta fidélité, ton sens du service et de la patience dans les petites choses du quotidien, sans jamais mal dire de quoi ou de qui que ce soit. Tu demeures un modèle de vie pour moi.

Trois dons, trois legs en héritage, parmi tant d’autres, culinaires notamment (comment ne pas mentionner les délices de notre enfance ? Tes gaufrettes à la vanille et les morceaux de sucre glissés dans du pain blanc à la croûte bien cuite, ta fameuse tarte au citron meringuée rue de la Viabert, tes œufs à la neige et le mont blanc à la crème de marron nous attendant à Fontenu, sans oublier ta traditionnelle bûche de Noël au beurre, non loin de ta crèche en bord de fenêtre, avant la tisane du tilleul cueilli sur l’arbre qui jouxtait alors ta maison, voire, pour les intimes, le croûton noir passé au jus de viande dans une poêle qui jamais ne connut le PAIC).

Je t’entends acquiescer d’un « vè », « vè » à tout ce panel, tout en me signifiant d’un geste de la main que « tchou tchou tchou » ça suffit comme ça tant, pudique et modeste, tu n’aimais être dans la lumière, tant, tout à la fois sauvage et absolument généreuse, c’est dans l’ombre et avec modestie que tu aimais gâter avec simplicité une famille que tu as toujours su aider et soutenir dans la nécessité (je pense notamment à papa), que tu n’as jamais abandonnée (en l’occurrence ton père, hospitalisé, pour qui tu pris tant de risques, y compris pour aller chercher ta sœur dans la zone occupée par les « Bosch » en cachant, dans le fond du panier de ton vélo, non du cochon mais du chocolat Suisse en guise de défi : ta Traversée du Jura à toi – pour paraphraser le film de Claude Autant-Lara1), famille que tu as tant aimée avec naturel et joyeuseté, sans jamais rien attendre en retour, dans une parfaite abnégation.

« Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux !

Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise !

Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu ! », affirme Jésus, toujours dans l’Évangile de Matthieu (5, 3-12).

Un cœur simple, doux et pur menant une vie sobre, humble et honnête : du tout toi ma mamie. Aussi, je ne doute point que Là-Haut dans le Ciel tu seras bien reçue.

Pour tous tes bienfaits, pour toutes ces merveilles, pour nos mille et un bonheurs goûtés au pied de ton potager, sous ton pommier en fleurs ou au chaud contre ton poêle, merci ma chère mamie, merci…

Lundi 25 septembre 2023,

jour de ton décès, à 01h12,

à l’Ehpad de Clairvaux-Les-Lacs (Jura),

en ta quatre-vingt dix-septième année ;

– jeudi 28 septembre,

jour de tes obsèques à 15 heures,

en l’église de Saffloz

1La traversée de Paris, 1956, avec Gabin, Funès et Bourvil

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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