En épistolaire, depuis une glaciaire

Depuis le 2 novembre, confinement total en prison, dont l’accès est interdit aux bénévoles1. Aucun allègement. Pas même de couvre-feu.

Alors, pour continuer mes accompagnements, ce ne sera ni en présentiel, ni en virtuel, mais en épistolaire.

Un lien infime, un lien ténu, comme un fil de gant. Des plus précieux. Chaleureux. En ce temps hivernal. 

Mais surtout vital. 

Quand vous êtes surconfinés. Placés à l’isolement. Surcoupés du monde. Dans une cellule obscure. Parce que testés positif à la Covid.

Plus encore : lutter pour conserver l’humour. Pour ne pas devenir fou.

Depuis mon donjon provisoire,

Dimanche 31 janvier 2021

(17ème jour d’isolement)

Chère Delphine,

On ne peut pas dire que dans le gourbi dans lequel j’ai atterri, on ménage vraiment le moral des patients : non content de les placer à l’isolement, en prime on les pousse à la déprime !

Au-delà du fait qu’on m’a logé dans une cellule d’une ignoble saleté, que même un Panda aurait refusé en reprenant dans la foulée son train pour Pékin, ils ont eu l’heureuse, la lumineuse idée de tout repeindre en gris … Tout, tout, tout … : le murs, le plafond, le lit, même le carrelage est gris ! (…). Attendez, ce n’est pas tout, pour parfaire l’ambiance ô combien oppressante, j’ai quémandé une table, car il n’y en avait point dans cette étable … Et ben j’vous l’donne en mille Emile, ils m’en ont refilé une gris anthracite … C’est-y pas avoir de la suite dans les idées ça Madame ?

A mon humble avis, le directeur de la D3 doit être un ancien de la Royale, un nostalgique du gris Amiral !

J’peux même pas compter sur la couleur venant de l’extérieur, là aussi, c’est du gris à l’infini !

Un paranoïaque à ma place crierait à la collusion ou à la conspiration !

Alors bien sûr, bien sûr, vous vous dîtes … : Il chipote avec humeur pour une histoire de couleur …

Mais attendez, parce que là, j’en suis qu’à la déco … enfin « déco » … c’est un bien grand mot … car pour compléter le tout, cette cellule est un igloo … Les tuyaux de chauffage … gris aussi … sont désespérément froids … C’est pas l’Pôle Nord d’accord … n’empêche j’suis frigorifié, et quand un gars du Pas-de-Calais vous dit qu’il a froid … croyez-moi, c’est que vraiment il a froid … un froid qui mordille les doigts, et que mon haleine réchauffe à grand peine !

C’est si prenant, si entêtant, que j’en ai rêvé la nuit passée … Un caribou dans ma cellule était entré, et tout en me regardant d’un air compatissant, il m’a lancé : « Ah ouais, quand même un froid pareil c’est abuser ! ».

C’est heureux que je ne sois pas vraiment malade, car ce trou sordide n’est rien d’autre qu’un appel au suicide !!!

Moi j’vous l’dis, si je ne vous avais pas, croyez-moi, il y a longtemps que je serais passé de vie à trépas !

R.

1Formateurs comme visiteurs.

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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