Pour qu’une porte s’ouvre

En vacances et parisienne lors du troisième confinement d’avril, j’en profite pour accueillir M. Essebki, président de l’Union des musulmans de Levallois-Perret, très investi dans le dialogue interreligieux de sa commune et partisan d’un islam républicain : « Un bon musulman, c’est quelqu’un qui aime la France ». 

Si carême est derrière nous, lui débute son jeûne. Cette année, ce mois d’avril, tel un chapelet, file tour à tour le temps fort de chacun des trois monothéismes : Pessah, Pâques, Ramadan.

Quand la sonnerie retentit, au moment d’ouvrir ma porte, la main ferme sur la poignée, je réalise qu’à part son nom, son prénom, sa confession et sa fonction, je ne sais rien de mon hôte. 

En tout cas, qu’un homme, un musulman, honore, en période de ramadan, l’invitation d’une femme, chrétienne de surcroît, il y a de quoi, déjà, renverser bien des préjugés !

Avant même d’aborder nos différences, le partage de nos ressemblances. Amusés, nous constatons que nous sommes de la même génération, de la même tranche d’âge, de la même année … ça aide. Emue, je lui partage que l’appeler Ali me touche : le prénom de mon grand-père, algérien, que je n’ai pas connu. Lui est marocain.

Ali m’explique que, pour lui, la rencontre de l’autre, de l’étranger, d’un juif ou d’un chrétien, c’est culturel, c’est familial. D’ailleurs son tout premier souvenir de chrétiens remonte aux Soeurs qui venaient l’aider à faire ses devoirs à la maison. A cette époque-là, il n’était pas question de « dialogue interreligieux », c’est tout naturellement que les gens se côtoyaient, se rencontraient, sans se poser de questions.

Nous sourions avec sympathie lorsqu’il m’apprend que c’est « (son) frère juif » qui a reçu la légion d’honneur pour, entre autres raisons, les soirées interconfessionnelles dont il a eu l’initiative : « Mais je lui ai dit que j’étais content pour lui ! ». Moins drôle, il me raconte que sa première télé lui valut une garde rapprochée. C’est qu’entre intégristes et l’hostilité de bien d’autres français, sans compter les journalistes qui essaient de le piéger pour faire le buzz, son engagement n’est pas des plus simples. Qui repose sur une double force : sa foi en Dieu et sa confiance en lui.

Admirative, je l’écoute me raconter comment il a été à l’origine, il y a plus de vingt ans en arrière, de la première salle de prière de Levallois-Perret. Un sacré bout d’chemin réalisé pour sa ville, pour sa communauté : c’est en septembre prochain que devrait être inaugurée la Mosquée républicaine des abeilles.

A vrai dire, ce n’est qu’en tout dernier lieu que j’ai évoqué le dialogue interreligieux pour notre paroisse. Sans doute parce qu’avant l’entretien entre un président et une responsable, un musulman et une chrétienne, il me semblait plus juste et respectueux qu’Ali rencontre Delphine, en toute simplicité, en toute humanité.

Ali m’a demandé de vous parler du calife Omar qui prit Jérusalem en 638. Le patriarche chrétien d’alors, faisant allégeance, lui a proposé de venir prier dans l’église, ce qu’il refusa, non par mépris, mais par respect de son lieu de culte. Aussi préféra-t-il aller prier sur l’esplanade du Temple, à l’endroit d’où le prophète Mahomet se serait envolé au ciel, là où il commanderait la construction de la mosquée dite Dôme du Rocher. C’est d’ailleurs le « pacte d’Omar » qui aurait inspiré le statut de « protégé » (dhimmi en arabe) propre à « tous les gens du Livre » (la Bible) en terre d’islam.

Un face à face d’une heure et demie. Il est grand temps de nous quitter, pour Ali de s’en aller.

Sitôt parti, on sonne à l’interphone. Aurait-il oublié quelque chose ? Je regarde partout, en même temps que j’entends des exclamations s’élever de la cour intérieure : bloqué par le gardien, Ali est sommé de justifier sa présence entre les murs, de prouver qu’il me connaît. La chute est brutale qui nous ramène à la dure réalité d’une défiance généralisée.

La lourde porte de mon immeuble se referme sur ce désagrément, mais mon cœur retient la proposition de M. Essebki de venir un jour nous rencontrer pour nous parler de l’islam. Qu’il en soit infiniment remercié.

Pour Les Cahiers de la paroisse saint François de Sales,

Mai-juin 2021

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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