Ita missa est

Ce matin de mi-juillet je découvre, surprise, le dernier Motu Proprio1 du Pape François2, relatif à la messe « tradi », comme on dit, à la liturgie « tridentine »3, pour faire plus savante, afin d’unifier plus avant l’Eglise catholique.

Tridentine … Pour tout dire, voilà un mot que je ne connaissais pas encore il y a trois jours, quand je quittai Paris, notre chère paroisse riche de ses trois messes quotidiennes, pour gagner la province, l’Isère, le cœur en estive, certes, mais aussi l’âme en berne face au jeûne eucharistique programmé, imposé deux mois durant, les portes de l’église de mon petit village étant verrouillées depuis longue date.

A vrai dire, du fait que je sois et en vacances et d’un naturel progressiste, ce Traditionis Custodes me serait complètement passé inaperçu, m’aurait laissée littéralement indifférente, comme relevant de vieilleries et de pratiques ancestrales si, par un étrange hasard, je n’en avais pris connaissance à l’heure même où, par une étonnante coïncidence, je sortis, à la grâce d’une rencontre fortuite, de mon ignorance en vivant, expérimentant, priant trois jours durant, pour la toute première fois, une liturgie d’un autre temps.

Ainsi, sans prévision ni transition, je passai de la capitale à la campagne, du Clergyman à la soutane, du français au latin. Descendant vers le sud comme remontant (régressant?) jusqu’au siècle précédent, ce matin-là, alors que je longeais, après laudes, une vieille église de pierre, le cœur soupirant déjà après Paris, rêvant à notre première messe de septembre, je me retrouvais nez à nez avec un jeune descendant de don Camillo – pourtant de la même génération que moi !

« Bonjour mon Père ! », lançai-je, ravie d’une compagnie qui me tombait tout droit du Ciel. L’abbé Proust me dira qu’il avait été aussi surpris que moi de rencontrer une âme errante près d’une église à une heure aussi matinale, suffisamment connaisseuse pour ne pas lui donner du « Monsieur ». 

Heureux tous deux d’une telle surprise en terre déchristianisée, nulle glace à briser : nous parlions la même langue, la même joie, le même désir : Jésus Christ et celui de faire vivre son Eglise ! « Je dis la messe tous les matins à 7h30 …

– Entendu, comptez sur moi, je serai là ! ».

Ponctuelle, le lendemain matin, je le cherchais dans l’obscurité d’un édifice roman qu’un temps pluvieux, orageux, peinait à éclairer. Un homme et une femme, d’un certain âge, s’affairaient à l’avant de l’autel : ses parents. Deux prie-Dieu disposés pour sa maman et moi patientaient pieusement face à un autel autel, plus ancien, encastré dans la pierre. Son papa servait d’enfant de choeur. Perdant mes repères habituels, j’observais cet étrange manège. 

C’est alors que j’entraperçus mon tout jeune prêtre par la porte de la sacristie attenante, marmonnant une formule inintelligible, paré de noir, de blanche dentelle, d’une chasuble verdoyante cousue de fils d’or, barretté surtout comme le truculent curé interprété jadis par Fernandel. Dont je ne verrai plus que le dos. J’en perdais mon latin … celui-là-même que l’abbé articulait comme d’une langue maternelle ! 

Percevant mon désarroi, ma voisine me tendit Missel et petit Livre bleu de prières. Docile, je suivis tous ses mouvements (le foulard en moins pour recouvrir ma chevelure lors de l’eucharistie), jusqu’à m’agenouiller au pied de l’autel, bouche entrouverte, pour recevoir le Corpus Christi. Quant aux messes basses … : voilà que j’apprenais enfin l’origine de l’expression favorite de ma mamie !

« Bravo, me dis-je, je ne comprends rien … Voilà c’que sait d’acquiescer à tout, sans jamais te méfier : bienvenue chez les intégristes ! », murmurait mon pauvre cœur tandis que mes lèvres rendaient grâce Deo gratia.

Ita missa est, conclut solennellement le prêtre.

Nous nous retrouvâmes ensuite sur le parvis de l’église. Accueillie, je me refusais de fuir. « J’avoue avoir eu du mal au tout début, m’expliqua sa maman, quand mon fils m’apprit qu’il voulait entrer dans la Fraternité saint Pierre, vous savez, qui officie en latin, selon le rite romain. Et puis je m’y suis faite … Tenez, je vous laisse les livres jusqu’à votre départ, pour vous familiariser … ».

Et puis je m’y suis faite, moi aussi : mes vacances commençaient bien : un voyage moins géographique que liturgique ! Suivant la traduction, réactivant mes vieilles connaissances en latin, je comprenais chaque jour un peu plus ce que mécaniquement je lisais. Mais, surtout, je comprenais davantage ces catholiques, ces croyants, ces pratiquants « traditionalistes », qui se battaient et résistaient, à leur niveau, à leur mesure familiale, bien que cela puisse paraître infime, contre la désertification des lieux pour que l’Eglise vive. Y compris pendant les vacances : mon cher abbé, affecté en Normandie après avoir couru l’Asie, étant, comme moi, en congés. En repos. « Oui, n’a-t-il cessé d’affirmer, il faut rouvrir et réinvestir nos églises !». 

Le jour de mon départ, ne pouvant participer à la messe, je lui proposai d’ouvrir l’église plus tôt pour dire les laudes : « Habiter notre église pour que l’Eglise vive », tel était son credo. Même à deux, assurés que, réunis en Son Nom, Il est au milieu de nous. Le rendez-vous fut entendu, mais, échange de bon procédé, « nous les dirons non pas en latin, mais en français. Vous avez votre bréviaire ?

– Heu … non, pas pendant les vacances, trop volumineux … Vous connaissez AELF ?

– A… quoi ? ». Quelle drôlerie … C’est si rare pour moi de paraître, aux yeux de quelqu’un « en avance » sur mon temps, à la pointe de la technologie …

Je le retrouvai tôt le lendemain, pianotai sur mon clavier, chuchotant moins la messe basse que la notice d’emploi qui ferait apparaître sur l’écran les psaumes consécutifs d’un office que nous lirions côte à côte, en alternant. « Merci, Delphine, pour cette découverte. Je vais communiquer le nom du site à mes parents qui pourront ainsi le dire avec vous en communion de prière.

– Merci à vous, Père ! Pour tout ce que j’ai appris durant ces trois jours : autant de façon de prier, de célébrer, de faire eucharistie, de louer Notre Seigneur ! Je découvre et n’en aime que davantage notre Eglise, pour sa pluralité, pour sa belle diversité ! Oui, merci à vous et à vos parents de m’avoir accueillie parmi vous ! ».

Quelques heures plus tard, patientant pour une correspondance sur le quai d’une gare, la communication du lien pour consulter l’application VOM4, le pendant romain d’AELF, me laissa tout sourire : échange et partage en Esprit par-delà les idiomes, vivants par-delà une langue morte ! Voilà ce qui est proprement catholique ! Quelle belle rencontre, via la surface de nos différences liturgiques, qui m’élargit et m’ouvre encore plus grand !

Aussi, est-ce à l’abbé Proust qu’aussitôt je pensais ce matin-là de juillet. A son identité cléricale, aux racines d’une foi bien ancrée, établie, édifiée, tributaire d’une histoire, d’un héritage, d’une tradition de longue date. 

Inquiète, l’imaginant abattu, sinon courroucé, je lui envoyai une pensée fraternelle. 

Pour réponse, par-delà l’expression laconique de sa surprise et de son inquiétude pour le devenir des fraternités comme la sienne, une parole qui, une nouvelle fois, signe moins le repli et le traditionalisme que la confiance, l’obéissance et l’espérance : « Tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu ».

1Un Motu Proprio (du latin, « de son propre mouvement ») est une bulle pontificale ou une lettre apostolique émise par le pape de sa propre initiative. Il peut être adressé à toute l’Eglise, à une Eglise locale ou à un groupe particulier dans l’Eglise.

2Motu Propio Traditionis Custodes du vendredi 16 juillet 2021.

3Le rite tridentin (de Trente en Italie), appelé aussi messe de saint Pie V, est la liturgie telle que codifiée à la suite du concile de Trente (1563) et employée de manière canonique par une grande partie de l’Eglise latine jusqu’à la réforme liturgique opérée par Paul VI à la fin des années 1960, dans le contexte du concile Vatican II.

4Vetus Ordo Missae

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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