« Si c’est un homme »

« Quel genre d’homme es-tu ? », demande le chevalier au rustre qu’il croise sur son chemin.

Retour sur la capitale, hier, au fort de la chaleur de juillet. A la sortie du métro, Paris m’éclabousse de lumière et de couleurs avec ses marionniers familiers sur fond de ciel azuré. Eblouie, je baisse les yeux : un SDF – nouveau – agenouillé sur le bithume.

Faux. Mes yeux heurtent d’abord une pancarte sans pouvoir la comprendre : « JE SUIS UN ANIMAL ! ». T-shirt remonté jusqu’aux épaules, échine courbée, face cachée contre ses bras, extrémités crispées dans une chevelure hirsute. « JE SUIS UN ANIMAL ! ».

Merde, mais où suis-je revenue ???

Je-suis-un-animal-! me renvoie à une autre claque. Un matin de juin. Entre le jardin du Palais-Royal et la Bourse. J’aimerais en rire. Clément est loin devant avec Sylvestre. Je traîne à l’arrière, comme d’hab, pour photographier.

Arrêt sur image. Indésiré(e). Me retiens au mur. Indésirable. La gerbe. De loques et de crasse. De croûtes et de poussière. Brun, noir, marron – la peau ou la saleté ? Indistincts.

Me fondre dans le décor à défaut de pouvoir passer. A quelques pas de… d’un… enfin je veux dire … je voudrais……… A moitié nu… mais pour ce que recouvrent ses rastas de tissus…

Les pieds dans le caniveau. Echine courbée. Lui aussi. Il se lave.

Il se lave dans le caniveau, entre deux voitures

avec un bout de savon de Marseille il se lave

mais merde où suis je

face à face

je le regarde

lui aussi,

mais lui ne me voit pas. Ne me voit plus.

Je ne fais pas partie de « son » monde. A moins qu’il ne fasse plus partie du monde. Je m’embrouille à essayer de comprendre. Le réel a ses raisons que ma raison ne comprend pas.

« Suis-je encore un homme ? », demanderai-je à mes élèves, le lundi suivant, à la fin d’un cours sur le monstrueux.

Alors je te rejoins. Passé un seuil, il n’y a plus de couleur possible. Gauchiste, droitiste, centriste, c’est bien au-delà de tout ça, parce que, mus par d’autres intérêts, ils sont bien au-dessus de tout ça.

Aussi, à la question du chevalier, je tente juste de ne pas oublier la réponse du sauvage: « Un homme, comme toi ».


(Réponse à un post Facebook – Vendredi 27 juillet 2012)

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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