Ta « fillosophie »

« Finalement, je t’ai jugée un peu trop vite… » You are a really nice girl. Aussitôt entrevue, aussitôt partie. Trop tôt ou trop tard dans la nuit de  votre maladie pour dépasser nos a priori et nous rencontrer.

Frère, soeur, amie, personnel soignant s’activaient autour de votre lit  ce soir-là : la seule chambre où la vie se portait encore à bout de doigts tard le soir. Au plus haut, au plus loin, au plus fort, tandis que tous dormaient alentours.

C’est alors que débarque la bourge de l’ouest parisien. J’indispose. J’interroge. Vos râleries, d’abord, entre deux périodes de silence. Pour démarrer. Vous êtes si fatiguée. Et vos coups de gueule, ensuite. Pour tout et pour rien. Contre l’inacceptable surtout. A coups de Mr Freeze. Pour continuer. Pour continuer.

La blouse bleue du corps hospitalisé recouvre à peine vos bras perfusés, votre poitrine patchée. Dialyse. Purifier le sang. Du lourd matos pour votre corps fragilisé. Epuisé. Malgré la chaleur, on frissonne dans votre bulle vitrifiée.

Ne reste que votre voix pour entrer en résitence, exorciser la mort, hurler à la vie. A la mesure de votre souffle, ténu. J’entends a colère contre cette putain de maladie qui s’est abattue sur vous, là-bas, au pays des érables. Le comas, plusieurs semaines. Et ces putains de traitements qui déglinguent un corps devenu incontrôlable par moments. Corps qui gratte. Corps qui démange. Corps qui part en vrille. Empoisonné par un sang malade. La colère murmurée, bientôt inaudible,  expire ton désir de vivre.

Pardonnez-moi, Aline, ce tutoiement posthume mais, à me souvenir de notre unique rencontre, à voyager dans tes écrits, à parcourir ton mur, je vous sens plus proche. Là… Je gratte mes sensations et perceptions hâtives ; je nettoie et lustre mon souvenir de vous : fffffffeeeu, je souffle et sens la colère monter en moi. Barre-toi Leucémie, avec tes casseroles morbides ! Je veux vous rencontrer, vraiment. Adiooos Mr Freeze ! Du rhum dans le coca, svp ! Ou de la vodka, on s’en fout ! Fais tourner ! Casse-toi Morphine, avec ta traîne soporifique. J’ veux l’entendre, la sentir, la vibrer ! Mort, va-t-en ! Fantôme de mon souvenir. « Fuck off mister T…  » D…ead !! Laisse-moi entrevoir la flamme d’Aline. Sa lumière vive, ses coups de vie, rien qu’une fois ! Encore ! Elle qui kiffait tant la vie. Grave.

Abattu le fantôme d’Aline, en tombant sur ton profil facebook. Lien permanent qui t’ancre toujours parmi nous. Tu reprends de l’épaisseur. Je te découvre : tes cheveux mi-longs, ta mèche en liberté sur  ton front, ton sourire, ton assise, jambes pliées croisées, bras dessus, contre le mur du Ché : j’adore ! Stéphane Hessel, Carnet de voyage, L’Arnacoeur  pour nous rassembler. Ah oui, ce putain d’cancer, aussi. Ton activité revendiquée de chieuse confirmée : j’explose de rire 😀 ! Ton humanité se dessine au fil de ta liste d’amis. Tous tes amis.

Et ton blog. Fillosophie. De noir et de vert. Vert  de rage, vert de vie, vert d’espoir. Tout en verve. Afin de partager « mon expérience de vie, ma liberté, ma claque en pleine figure. » Ok – je cours te retrouver !

It’s so hard to be a girl ! J’entrevois la f(l)emme. Il y a loin de ta blouse bleue et de ton corps pansé, orné de perf’ colifichets. : « Je n’ai pu prendre que deux manteaux, trois paires de chaussures, quatre pulls, trois robes, deux jupes, un maillot de bain, six pantalons… » J’abrège la liste de ce je-n-ai-pu-que que ta valise a eu tant de mal à boucler ! Pour ton grand voyage. Au Canada : « Le premier pays que je voulais visiter pour faire du traineau avec les Husky. » La première fois que tu largues longuement les amarres d’une barque qui te conduit outre-Atlantique, loin de ta famille. Tout à la fois impressionnée et exaltée, apeurée et excitée. « J’appréhende. J’appréhende la séparation. Etre loin d’eux. » Mais déterminée : « Avancer et ne pas me retourner. »

L’expérience du grand froid. De la solitude aussi. Bleu à l’âme de ce Lundi 6 décembre à la perspective d’une fête cent pour « Sans famille, sans sapin, sans huîtres, sans foie gras, sans bon vin. » So long goodbye. « On soigne la solitude et l’expatriation comme on peut. »

Sans même compter sur facebook qui sauve les liens comme il creuse le vide en toi car « Je vois qu’on ne m’attend pas. » Les soirées sans toi. Miss you so much !

Mais grâce à Eux, ce bobo à l’âme ne dure qu’un temps. Eux, ce sont tous ces autres, ceux de Toronto, que j’imagine pressés dans ton pub, réchauffés en plein coeur de l’hiver par les coups de soleil de la petite serveuse rock’n french. Tous les habitués : « Une famille de procuration pour moi. » Eux, ils t’offriront ces « mots tout en couleur sur ma porte. » Rêvés. Réalisés.

D’eux, tu en parlais alitée dans ton lit d’hôpital. Tel un tournesol, ton coeur restait tourné, entre autres, vers tous ces smiley canadiens qui t’avaient si généreusement soutenue. Et tu râlais, et tu pestais, t’exaspérais de ne pouvoir leur témoigner, personnellement, à chacun d’entre eux, toute ta reconnaissance. Car tu n’avais plus la force de faire courir tes doigts sur le clavier. Je t’entends encore : « Comment les remercier ? Comment leur dire merci à tous ??? » Tes yeux brillaient, pétillaient, rayonnaient de gratitude.

Le voyage, tu le portais en toi. Ton avancée vers l’autre. Ton avancée vers un ailleurs à explorer.

Ce soir-là, à l’hôpital, tu espérais, t’impatientais, t’accrochais à ta plus simple sortie. Devenue, à ta mesure, la plus périlleuse. Revoir Montigny. En bord de Loing. Si je me souviens bien. Retour d’un Mr Freeze au citron. Et des champs ensoleillés pleins les yeux. Avec Noémie, nous avons kiffé grave le colza ce soir-là ! Pouhaaa, plein les narines depuis ton lit ! Plein l’imaginaire.

Ce soir-là, j’ai passé in extremis la porte de ta vie avant qu’elle ne se referme. Bienvenue dans mon monde, écrivais-tu, même s’il se trouve de l’autre côté de l’enceinte St Antoine ! Même s’il se trouve de l’autre côté de la Planète ! – au pied de la lettre Aline, comme au pied de ton lit ! – même s’il se trouve de l’autre côté de ta mort, Aline ! Le pied ferme contre l’huis, nous maintenons fermement la porte entr’ouverte pour te retrouver, comme tu l’as souhaité : où que vous soyez, où que je sois

Anniversaire – A flame for Aline – Facebook

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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