Euthanasie ? Paroles de souffrants

« … Je suis siii fatiguéééée… », long gémissement s’échappant d’une chambre, tout là-bas, « … laissez-moi mouriiir… », longue plainte qui s’essouffle… « … je vous en priiie… », qui s’égare dans un couloir déserté à une heure d’après déjeuner.

« Je suis si fatiguéééé« , répétition… « laissez-moi mouriiir« , …monotone, « je vous en priiie« , …. douloureuse. Voix solitaire, voeu pieux qui s’effiloche dans un espace vide où rien ne vit, où rien ne rit, où rien ne bruit. Où tout (se) meurt. Moi-même, de l’autre côté du mur, je retiens mon souffle.

La laisser soliloquer, sans adresse ni destinataire ? Tenter de la rejoindre ? Que répondre ? Comment consoler ?

Malaise. J’aurais aimé ne pas entendre, moi qui me sens tout aussi seule dans ce couloir de Long Séjour où les souffrances de reins, de fesses, de peau, et d’âme s’endurent sans fin.

« … je veux mourir… ».

Je ne peux pourtant tourner les talons et faire comme si… Le hasard me rend un peu responsable.

La porte est grande ouverte. Je pénètre, à pas de velours, dans une chambre que j’imagine sinistre, mortelle, puisque la mort seule est désirée. Aïe ! Quelle arme verbale dégainer pour tenter de lui trancher le cou, à la mort, et sauver cette pauvre esseulée ? L’impuissance me noue le ventre, paralyse mes membres…

Puis tout va très vite. Eclat ! Face à face où ce n’est pas la Mort qui tend vers moi ses bras consumés de désespoir, mais la Vie. En sursis.

Une dame. Lumineuse. Son regard brûlant me capte, ses mains ardentes s’agrippent à moi comme à une bouée d’espoir.

Surprise ! Elle… elle est si… belle avec son regard limpide, ses cheveux de neige, si diaphane, si frêle qu’on la perdrait dans ses draps couleur de ciel.

Moi qui craignais manquer de mots salvateurs, je me laisse ballotter par des flux de paroles qui assourdissent une chambre trop souvent silencieuse.

Ma personne occupe tout son champ. Affamée de présence : ses yeux me bouffent littéralement, ses doigts fourchettent mon bras comme un mets de choix, ses narines hument ma présence tel un exotique fumet.

Un corsage blanc à dentelle, un jean clair, des fragrances de lavande, une voix, la banalité de mes mots, que sais-je ? C’est tout et rien à la fois qui font illusion, stimulent son imagination. Le bénévole : un tremplin pour réenchanter ses instants ? De mon badge jusqu’à mes cheveux, elle s’extasie de mille et un détails pourtant banals, mais, pour elle, aussi nouveaux qu’inattendus. Mes mains enveloppent les siennes. Nos yeux se cherchent, se sourient, se dévorent jusqu’à plus soif : « Ah ! Je vous attendais… Je vous attendais depuis si longtemps… J’attendais juste que vous fassiez un peu attention à moi… Ah ! C’est fait… Dieu me comble.

Je ne mange plus vous savez… Je n’ai plus faim, plus d’appétit…Rien… Mais pour vous, j’en aurai ! Alors vous me promettez ? Hein ? Vous reviendrez ?… C’est promis ?… Vous me préparerez à manger, et moi… je préparerai mon estomac (car c’est ce que je fais de mieux). Je me repose et je vous attends… Pour vous, j’aurai encore faim... ».

(Centre hospitalier de Puteaux, Unité de Soins Longue Durée – Vendredi 29 juin 2009 : première et unique rencontre avec Mme Herc, décédée quelques jours plus tard – Article pour L’inattendu, 2012)

-_-_-_-_-_-_-_-_-_-_-_-_-_-_-_-____-________—-__________

Mme D. : « Ah !… Vous ne pouvez pas imaginer combien je souffre… On refuse de me laisser couchée toute la journée, alors que j’ai si mal au dos, aux reins dans mon fauteuil… Oui : mon fauteuil est mon enfer, mon lit mon paradis ! Et puis quand je vois toutes mes anciennes amies, ici, qui ne me reconnaissent plus, dans l’état qu’elles sont… Vraiment : je préférerais mourir que de continuer à « vivre » ainsi… ». (Mardi 8 février 2011, USLD de Puteaux).

Mme M. : « Oh oui… merci de me déplier les jambes, mais ne me touchez pas, faites-le avec un coussin… Oh, merci bien… Mais je vous en prie : allez vous désinfecter les mains… J’insiste… pour que vous ne soyez pas contaminée par mon mal… et j’ai tellement mal… Je souffre tellement que je suis sûre de blesser, même si je ne le souhaite pas, quiconque me touche avec ces horribles mains qui me font tant souffrir…Vous êtes bien bonne de vous occuper de moi car je ne le mérite pas… Je suis très mauvaise vous savez… Je ne comprends pas pourquoi d’ailleurs, car j’ai eu une enfance heureuse, mais, c’est sûr, j’ai dû faire beaucoup de mal, sinon Dieu ne m’aurait jamais puni en me causant tant de souffrances... ». (USLD de Puteaux, vendredi 2 juillet 2010).

(Témoignages pour L’inattendu – 2012)

Unité de Soins Palliatifs, Hôpital Jean Jaurès, Chambre 501, M. D.
Depuis un mois, j’accompagne M. D. De semaine en semaine, son corps devient plus frêle, son visage plus jaune, plus maigre et plus fripé.
Dès notre première entrevue, celui-ci m’a confié son envie de mourir.
Celle-ci n’a jamais faibli.
M. D est conscient, son discours explicité posément, entrecoupé par de longues plages de silence, ses demandes réitérées.
M. D est isolé, il ne connaît personne, n’est aimé de personne.
Sa vie a été consacrée à subvenir à ses besoins, survivre et non vivre, dans des environnements et des situations difficiles.
Aujourd’hui, il repose -déjà-, corps inerte mais toujours pensant, dans son lit, à la merci de tel ou tel soignant, dépendant d’un bon vouloir, d’une humeur …
A ce niveau du récit, le mieux est que je le laisse prendre la parole, me contentant de la relayer le plus fidèlement que je le puisse :
« Le sujet -de l’euthanasie- est tabou, les lois sont mal faites. »
« Je suis aux soins palliatifs, je ne souffre pas -physiquement-, mais je suis sans espoir ».
« Ma mort sera une libération, je suis impatient ».
« Je ne suis pas angoissé ».
« Je ne suis plus autonome, alors à quoi bon ? »
« Je voudrais me suicider, mais n’en n’ai pas les moyens physiques ».
« Des personnes viennent me voir pour parler -bénévoles, psychologues- mais ça ne mène à rien, il n’y a rien de concret »
« Je ne veux que quitter ce monde de fous, laisser ma place à ceux qui peuvent agir ».
« Je ne regretterai rien ».
Que faire ?
Que dire ?
Rien.
Simplement accompagner et dire que l’on comprend …
M. D est décédé un matin, la mort la surpris alors qu’il s’apprêtait à prendre son petit déjeuner, imprévisible malgré sa prévisibilité.
Où qu’il soit, soit-il libéré.
(Témoignage de Philippe Berland, bénévole, pour L’inattendu, 2012)

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
Ce contenu a été publié dans des Maux. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *