En mo(t) de mineur

En marche -_—et–_ pas — à —–__ pas ——- échapper aux bruits parisiens, six jours durant, dans le désert égyptien. Dénicher le silence et me désertifier de tous les mots. Cela s’entend et résonne comme une évidence. Et pourtant …

Le Siiiiilence … Trésor à débusquer ; pierre philosophale insuffisamment convoitée ; hellébore orientalis préservant de bien des maux.

Mais échappe-t-on au bruit ? Brouhaha extérieur des villes ; vibrations intérieures de l’être. La gamme est aussi large que l’orchestration diverse, au gré de ce qui s’imagine, s’agite, se vit chez le chef d’orchestre.

Le désert

Mer de sable illimitée

Le parcourir, c’est remonter le temps. Avancer à rebours. Le parcourir, c’est remonter l’espace. Un espace terrestre en épousaille avec son homologue céleste. Hubert Reeves en poche pour m’aider à en décortiquer la grammaire.

Le parcourir, c’est abolir les frontières                                                        tangibles            imaginaires

J’entrevois des vides et des pleins, des déliés,

des temps et des espaces

biologique historique géologique cosmique

je tente d’en parcourir quelques strates

Affabulation ? Hallucination ? Mirage ?

C’est vrai. D’abord ma vue se brouille. Ensablée. Avant d’opérer le grand saut mental. Imaginez… Rétrograder de notre deuxième millénaire à soixante-dix millions d’années, a minima.

Je redeviens petit Homme, fourmi, amibe. Poussière de craie. Sous cet air brûlant. Sinon virulent. A l’ère du Cr(ai)tacé où l’homme, l’eau n’en finit pas de s’évaporer.

Puis poussière d’étoiles, au fort de la fraîcheur nocturne, quand le regard perclus de nuit gagne en horizontalité lumineuse ce qu’il perd en verticalité ensoleillée.

Evolution en mode majeur

Le soir dans mon duvet, la journée sous mon voile, je remonte le temps, relis mon Histoire en scrutant les grains de sable, en scrutant les étoiles. Je relie Et tisse ma toile

Désert ascendance marine. Des temps lointains où il n’était qu’un vaste océan 

Coquillages et crustacés

à l’ère du Crétacé

70 millions d’années 

Plage des origines. Tout est relié : hier maintenant demain Tout se tient L’alpha et l’oméga L’eau et le sable L’amibe et l’homo sapiens La fleur et l’étoile

Les racines et l’ailleurs

Après les vagues océanes, dont ces fonds marins gardent la trace, telle l’arche sur le mont arménien, c’est sur notre vieux lit d’humanité que j’échoue 


Aux portes du désert, le silence bruit de son absence. C’est un cri de joie, unanime, en choeur, qui retentit de nos gorges abruties par la langueur monotone de la route. Nos bruits s’exilent comme nous nous exportons, d’une terre à l’autre

L’impassibilité du guide et le mutisme du chamelier nous aident, par mimétisme, à apprivoiser l’inaudible. Par touches progressives. Successives. Pas tous en même temps ! Nos bruits s’épuisent, s’essoufflent

Et encore, inaudible seulement approché. Tant notre écoute, notre regard, notre sourire restent tendus vers l’autre, vers soi, ou arrêtés par les formes admirables, tentatrices, du paysage.

Le silence, comme le vent, s’approche, mais ne s’étreint. Fffffurtiffff ffffugace


Le désert, c’est l’apprentissage de la soustraction : moins d’habits, moins de livres, moins de nourriture, moins d’eau, moins de frivolité. Moins de mots. Economie des signes. Plus de douche Plus de mur Plus de toi(t)

Le matériel en mode mineur. On s’achemine vers le nécessaire                              Vers l’essentiel. Le reste appartient au paysage    au silence       à la méditation              à l’immensité

Soustraire. Se soustraire

Se défaire. De l’autre de tout de soi

On se déprend On se dépossède

Tentatives du vide contre les tentations du plein

Le désert, ce simplificateur de vie


Entre erg et reg _-_-_—_—____— – -_–

La marche est lente

et assurée

On va On chemine On divague

Le sable et le dromadaire

le silence et le roc

On se vide on se défait on se relie


Musée naturel

roches sculptées par les vents

pétrifiées par le temps


Le silence d’or

dort

Pause. Ombre en sursis.

A l’échelle du Levant

de l’espace

et du temps

Beauté du désert. Qui n’est pas vide. Qui n’est pas nue. Variée. Faite de mouvements, d’ombres et de lumières. D’accidents. De dunes et d’architectures de calcaire

L’horizon fuit à chaque pas dans l’ondulation de la chaleur. Une sphère insaisissable

De sable et de soleil

de silence et de ciel

Désertification racinienne

les passions en moins la sérénité en plus

on souhaiterait


Soirées apéritives et digestives sous les étoiles. Les trois thés du Maghreb. Et le dernier, suave comme l’Ailleurs

Repos dans des zones d’ombre parcimonieuses, au fort de la chaleur. Quand il n’y a rien d’autre à faire qu’à a-temps-dre …_…….–….

Au rythme majestueux des dromadaires

lent régulier puissant

On devrait économiser nos mots comme on économise l’eau


Réveil ensablé et retour au foyer sur le déclin matinal d’une tempête de sable.

El Rhamzin verrouille nos lèvres, nous sépare d’avec les autres, d’avec le monde /

Il me sépare de vous, me coupe de vous / Je rabats les pans de mon chèche / Frêle frontière de coton / Je me dé-nous / Me voile au monde / Me replie /

Violent, impétueux maître des lieux, il tempête, nimbe canyons et plateaux d’une gaze caramel /Assourdissant / Corps à corps avec le vent    le temps d’un coeur à coeur avec soi-même        Instantané   durable           où lecoeurdesoietlecorpsdumonde         battent         à l’unisson                 leur chamade                    éternelle 

Et c’est quand elle n’est plus                                                                                    qu’elle est perdue                                                                                                 qu’on sait qu’on l’a eue

Poussière d’or qui s’écoule de mes doigts Poudre de silence que des lèvres infirmes échouent à retenir Précieuse Ephémère D’or

La musique du bruit des pas sur le sable reprend. Le vent tombé, le concert de vos mots me parvient, plus net que jamais, tant il est vrai que c’est dans la pureté du désert que l’on entend, enfin …

Au désert sans limites… Il n’y a que le langage des hommes qui est clos, paraît-il …

Du Calme ou du Chaos, du Vide ou du Plein, du Silence ou du Verbe, qui fut le premier au démarrage ?

Bernard, Dominique, Christian, Mohamed, Ala, Oussama et Chafrane, à notre rencontre, à nos bruyants fous rires, à nos bons mots, à nos éclats de joie dont le vaste désert blanc fut, une semaine durant, le royal porte-voix 🙂 !!!

Désert Blanc, Egypte, avril 2012

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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