« Je n’ai jamais donné comme ça… »

Ce samedi 24 décembre, telle Mère Noëlle pour les Petits frères des pauvres, je me présentai à Ben, rwandais, la soixantaine, incarcéré à la prison de Fresnes, avec une énorme enveloppe papier Kraft sous le bras, en lieu et place d’une hotte sur le dos, afin de lui offrir, à la grâce d’une autorisation spéciale, son cadeau tant convoité : non point des barrettes de shit, mais une pile de magazines – tous les La Vie et mes La Croix, mis fraternellement de côté pour lui, durant les quatre dernières semaines de l’Avent.

C’est qu’il s’ennuie à mourir, Ben, dans sa cellule, que jamais il ne quitte, meublée d’une seule télé pour lui tenir compagnie entre deux visites de sa femme, tous les deux mois. « Vous n’auriez pas des journaux à me passer ?, me demanda-t-il un jour, tandis qu’en l’attendant au parloir j’en feuilletais un.

– Oui, mais… sont plutôt… un rien, un peu, enfin j’veux dire… kto… Et puis, supputais-je, vu son prénom, si vous êtes musulman…

– Ah non, encore mieux… ! Moi aussi suis chrétien…

– Alors patientez, attendez, promis, quand je reviendrai… » … Quatre semaines après… Venez, venez, venez …, enjoint un chant d’Eglise : il n’est rien de dire que nous étions attendues comme le Messie, ma venue comme mes revues !

Aussi, ce matin-là : « Merci ! Merci ! », ne cessait-il de répéter, avec son accent, en roulant les –r, si joyeux d’être l’heureux destinataire d’un si gros paquet. 

« Il faut que je vous dise, Madame Delphine, je sais que vous êtes catholique, vous savez… je suis évangélique… Eh bien je suis très impressionné car c’est la première fois qu’on me donne comme ça… Et je n’ai jamais donné comme ça… Je veux dire gratuitement, sans rien recevoir en retour ; je veux dire… à des étrangers, à un inconnu…, comme vous faites… Je savais même pas que ça existait, que c’était possible… Vous me montrez autre chose ! Avec vous, avec Arnaud et David, avec vous les bénévoles, je découvre autre chose… : vous donnez du temps, vous donnez de l’attention, vous nous donnez des cadeaux, à nous, des étrangers, qui sommes en prison ! C’est quelque chose d’incroyable qui me bouleverse. Moi, j’ai jamais fait ça dans ma vie !

J’ai toujours donné. Toujours. Beaucoup. Mais à ma famille ! A ma femme ! A mes enfants ! Aux évangéliques ! Mais à des inconnus, à des étrangers, à des gens que je ne connais pas… jamais, jamais, jamais.

Je n’y ai même jamais pensé Madame Delphine, j’vous jure, j’vous dis ça comme ça…

Mais j’vous le promets, demain, quand je sortirai, j’vous jure Madame Delphine, comme vous je ferai… A mon tour, aussi, je donnerai comme vous faites, comme ça, juste comme ça… Car je crois que c’est vraiment ça être chrétien, pas chanter, pas les sermons, les grands discours, mais des actes, aller voir l’étranger, son prochain, juste lui donner quelque chose comme ça, même quand on n’a rien. Juste comme ça.»

Fresnes,

Samedi 24 décembre 2022

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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