« Dieu », le bouddhisme et nous

Bouddha Shakyamouni
(ou le prince Siddharta Gautama, qui a atteint l’Eveil)


– Je suis certain que le bon Dieu accueillera au ciel

ceux qui furent bons et honnêtes

sans qu’ils soient catholiques romains.

Saint Charles de Foucauld,

canonisé le 15 mai dernier

Dans l’un des Echos du monde des précédents Cahiers, notre chroniqueur, Bruno Delort Laval, nous informait des difficultés rencontrées au Cambodge par un prêtre des Missions Etrangères de Paris dans un « pays bouddhiste, dont la langue ignore le mot « Dieu », où le concept de Sauveur est incompréhensible et où la Création n’existe pas puisque le monde est éternel ». DieuSauveur et Création… : envie d’en savoir davantage, de creuser l’affaire et concepts…

Même si l’on y trouve divinités, déités, esprits et démons, le concept de « Dieu » n’existe pas dans le bouddhisme. Celui-ci ne reconnaît, d’une part, ni de personne ou de puissance surnaturelle, de principe transcendant à adorer impliquant tout un système de croyances ; ni, d’autre part, de Création originelle à partir du Verbe qui pose un début et une fin ; ni, enfin, de Vérité unique, absolue et éternelle qui donne le sens de nos histoires, au double sens de direction et de signification.

C’est que, dans la conception bouddhiste du monde, le temps est perçu de façon moins linéaire (tendu entre un alpha et un omega qui fait Histoire) que circulaire, sans véritables fin ni commencement, du fait du jeu des réincarnations. Ainsi la vie n’est-elle qu’un éternel recommencement, une vie faite d’expériences éminemment personnelles, singulières, relatives, réalité immanente à partir de laquelle il s’agit d’oeuvrer, de s’élever, de s’éveiller afin de mener une vie bonne au profit de soi et pour tous – et non pour « Dieu », extérieur à soi, origine de toute chose, avec qui on peut éventuellement entrer en dialogue, qui façonne et oriente nos vies, pour peu qu’on L’écoute et Lui dise « Oui, me voici ».

A l’origine donc, point de « Dieu », de Logos, mais l’expérience, des expériences, l’expérience concrète de chacun faite de maints conditionnements et déterminismes accumulés au fil des vies, à partir de laquelle il faut travailler, de laquelle il faut surtout se libérer, se réveiller sinon s’éveiller, afin de s’élever et atteindre l’ultime Réalité. Ceux qui y parviennent sont appelés bouddha1(dont le grand modèle est le Bouddha Shakyamuni2). Il s’agit d’êtres éveillés, c’est-à-dire délivrés de l’égo, de l’ignorance, de la souffrance, de l’attachement, du feu des désirs et des passions. Illuminés, ils ont atteint la Paix, la Sagesse, la Connaissance universelle3 en se libérant de leur karma4, en parvenant à sortir du cycle infernal du samsara5.

Cette libération, les bouddhas et les bouddhistes en chemin la doivent moins à un prophète qui parle au nom de Dieu, qui guide, oriente, aide à traverser les épreuves (Moïse) ; moins encore à une foi, à une révélation, à un Sauveur (Jésus Christ, en nous affiliant à un Père, à une nouvelle Famille spirituelle), qu’à eux-mêmes, à la méditation, à une ascèse, à un travail sur soi (tout en empruntant une voie, en respectant la Loi universelle de la nature – le dharma – et en pouvant être guidés par un maître spirituel). 

Profondément sceptiques et pragmatiques, ils ne peuvent atteindre l’Universel, la Connaissance, la Réalité ultime qu’en passant par eux-mêmes, qu’en étant d’abord et avant tout à eux-mêmes leur propre chemin, afin d’accéder à leur propre vérité personnelle, intime et authentique, pour mieux Vivre, en accédant, in fine, s’ils y parviennent, à la Paix profonde du nirvana qui met définitivement un terme au cycle des renaissances. 

Et fi des dogmes, doctrines et croyances bien arrêtés6, surtout s’ils ne conviennent pas : « N’acceptez rien que je dise comme étant vrai simplement parce que c’est moi qui l’ait dit. Au contraire, testez cet enseignement comme si vous étiez un orfèvre testant la qualité de son or. Si, après avoir examiné mes préceptes, vous trouvez qu’ils sont vrais, alors mettez-les en pratique. Mais ne les mettez pas en pratique simplement par respect pour moi » (Bouddha). 

Ainsi, loin de suivre une Tradition, des Canons ou de s’enraciner dans une foi révélée, dans un Credo, les bouddhistes sont invités à se servir de la gamme complète de leur intelligence, de toutes leurs facultés sensibles, mentales, émotionnelles et spirituelles afin d’atteindre, au terme de plusieurs vies, après avoir éradiqué les causes de la souffrance, leur Vérité authentique, l’Eveil spirituel ; afin d’entrer, enfin, dans le nirvâna, cet état de Paix parfaite qui résulte de l’extinction complète, au fil des vies, de l’égo, des passions et des désirs du monde.

***

Mercredi 18 mai se tint notre dernière réunion du DIR, au Centre Bouddhiste Shinnyo. Une très belle rencontre à la grâce de nos hôtes, Annette, Martin et Olivier (gratitude!) qui introduisirent notre séance par une prière psalmodiée (en sanskrit et pali) appelée Transfert du mérite. Celle-ci consiste à diffuser du positif, des forces bénéfiques et protectrices à l’humanité tout entière, par-delà nos frontières spatio-temporelles.

Puis, avec l’imam Samir en plein chawwal7nous nous retrouvâmes autour d’une table pour échanger, nous questionner sur Dieu, la Création, le Souffle, entre autres concepts, tels que nous les comprenions et vivions dans nos différentes confessions. Passionnant.

Passionnant de questionner nos principes et rites constitués, de faire, en nous ouvrant à d’autres systèmes de croyances, de pensées et de pratiques, un pas de côté pour mieux comprendre encore les fondements de notre propre foi, dans quel système de croyances et dans quelle vision du monde et de la vie nous pensons, vivons, évoluons : « Stratégie indirecte, rusée, préconise le philosophe François Jullien, pour essayer d’atteindre l’impensé de notre pensée et ainsi pouvoir penser à nouveaux frais ».

Pour Les Cahiers de la Paroisse Saint-François de Sales,

juin 2022

1Bouddha = « Eveillé » en sanskrit

2Siddharta Gautama, dit Bouddha Shakyamuni, chef spirituel qui vécut au VI ou au Vème siècle avt J.-C., fondateur historique du bouddhisme

3On dit qu’ils ont atteint le nirvana, un état de paix intérieure totale et permanente

4Karma : Totalité des actions passées, des vies antérieures prises dans l’engrenage cyclique des causes et conséquences qui déterminent une vie

5Samsara : Cycle des existences et renaissances successives, conditionnées et soumises à la souffrance, à l’attachement et à l’ignorance

6Sans pour autant retirer toute son importance au Dharma, la voie, les enseignements du Bouddha

7Chawwal : Six jours de jeûne (facultatif) prolongeant le ramadan – prolongation qui permet de bénéficier d’une récompense équivalent à une année de carême

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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