D’un musulman aux paroissiens

Se remémorant son enfance : « Où sont les catholiques ? », demande plusieurs fois Ali Essebki, président de l’Union des musulmans de Levallois-Perret (venu nous rencontrer avec son fils Yanis, la vingtaine). En tout cas, ce mercredi 10 novembre, nous n’étions pas dix pour l’accueillir, l’entendre, le rencontrer.

Et de poursuivre : « Né en 1975 à Levallois-Perret, ville alors ouvrière, je suis d’abord français, de culture française et, pour moi, mon pays est d’abord catholique – la question ne se pose même pas. J’ai tout appris des autres religions, notamment du christianisme : c’est l’amour chrétien qui m’a appris à aimer les autres. Durant mon enfance, les Soeurs passaient naturellement de maison en maison. Je pense notamment à Sr Marie-Thérèse, qui ne venait pas par prosélytisme, mais par amour donné. C’est le centre Marie-Jeanne Bassot qui m’a fait découvrir Noël, les cadeaux. Dans notre cité, la présence catholique nous donnait des repères éducatifs. Je me souviens même que nous disions, après une bêtise, par plaisanterie, que nous irions à Saint-Odile nous confesser ! C’est dire qu’entre musulmans et catholiques, il n’y avait aucun problème !

Aujourd’hui, j’ai l’impression que la France est en train de perdre son ADN catholique. Entre autres pour des raisons de gouvernance, avec ce principe de laïcité qui fait que chaque année on nous retire un bout, chaque année on perd. Sous couvert de démocratie, on permet tout et n’importe quoi ; et en même temps on ne peut plus rien dire. On vous a délesté ; vous n’êtes plus moteur, en première ligne. Pis : chacun se rétracte, se replie, se referme sur lui-même.

Avant, on se rencontrait. Aujourd’hui, on n’est plus dans l’écoute, on n’est plus dans la tolérance ; aujourd’hui, on ne vit plus dans la connaissance et la reconnaissance de l’un et l’autre. Apprendre à connaître l’autre, nouer des liens fraternels, on n’a pas réussi … Aujourd’hui, nous vivons dans une époque où les sots donnent des leçons aux penseurs, avec, entre autres, le problème des réseaux sociaux où n’importe qui devient prédicateur. Mais nous, Français, on doit sortir de la mêlée par respect et amour. 

Six ans après la tuerie du Bataclan, je n’oublierai jamais le regard transperçant, haineux que me jetaient les gens, me signifiant que le responsable c’est moi, « l’islamiste ». La suspicion est devenue telle qu’à chaque fois qu’un problème surgit dans l’actualité, je me dis immédiatement : « J’espère que c’est pas nous ! ». On amalgame islam et violence, terrorisme perpétré par des déséquilibrés qui n’ont jamais vraiment lu le Coran. Or, dans les écrits religieux, il est clairement dit qu’en terre étrangère on doit être discret, respectueux : A Rome tu vis comme un romain, dit le proverbe. Ce qui rend problématique l’intégration des Afghans, des Syriens, par exemple, avec leur culture tribale millénaire : un tel patchwork culturel ne peut qu’être problématique. Sans parler des médias qui mettent de l’huile sur le feu pour faire le buzz, le clash, qui ont réussi la confusion entre délinquants, bandits et religieux, croyants. On peut aussi regretter les défaillances de l’éducation nationale et de la famille, qui ne parviennent plus à poser base et socle commun solides.

On se fait du mal dès lors qu’on quitte le respect, l’amour et la tolérance pour verser dans le nationalisme, le sectarisme et le radicalisme.

Le regard porté sur les musulmans ? Soit « les pauvres, on leur tape toujours dessus », soit des terroristes en puissance, soit des infiltrés non crédibles pour ceux qui se risquent au dialogue interreligieux…

Je vous le redis, je suis d’abord français, puis républicain et enfin de confession musulmane et mon amour, c’est la France. Je ne suis pas à part, la plupart des musulmans – la majorité silencieuse – pense comme moi, mais c’est un discours qui n’est pas relayé par les médias, un discours qui ne plait pas.

Le plus important, ce qui nous unit, c’est le respect de Dieu et l’amour fraternel ; le reste est secondaire.

En tout cas, vous serez conviés à nos repas interreligieux ; vous pouvez compter un nouveau frère parmi vous ! »

Propos recueilli

pour les Cahiers de la paroisse saint-François de Sales,

Paris XVII, février 2022

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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