Vivre emprisonné ?

Un texto d’une amie

Une lettre de détenu

reçus ces jours-ci

qui, mis en perspective, me laissent pensive

Elle : Je vais bien, avec des hauts et des bas, comme tout le monde. Nous ne sommes pas faits pour vivre emprisonnés. La prière est pour moi une fenêtre ouverte sur l’Eternité.

Lui : Après vingt-quatre mois sans promenade, vingt et un mois sans parloir, sans visages familiers (des chiffres qui, plus encore aujourd’hui, me terrifient), mon seul lien « familier » au quotidien demeure ces quatre murs, dont je connais par cœur chaque cm2.

Confinée depuis près de deux mois, je sais qu’elle trouve réconfort dans la prière, la lecture et l’écriture. 

Incarcéré depuis plus de deux ans, je sais qu’il trouve réconfort dans l’écriture, la prière, et surtout la lecture. Sauf que, en ce temps de surconfinement carcéral, les prisonniers, pour s’évader, n’ont plus accès aux livres entreposés dans la cellule-bibliothèque de leur division, gérée par un « auxi »1.

Ne reste alors que la télévision qui doit tourner en boucle, comme eux doivent tourner en rond dans leur tête plus que dans leur 9 m2 – partagés à deux ou trois détenus. 

Dans sa lettre, il évoque ensuite les pandas du zoo de Beauval. Ceux-ci me renvoient au Parc de la Tête d’or de mon enfance, à Lyon, où, le dimanche après déjeuner, nous allions donner du pain aux singes et aux éléphants, avant d’aller voir les loups et les fauves, entre autres animaux sauvages « vivant », c’est à dire tournant en rond le restant de leur « vie » dans leur cage. 

A ce stade-là, en prison, seuls les médocs peuvent, en abrutissant ces hommes, sinon ces bêtes, contrer violence, folie, suicide.

C’est bête, il était si fier de m’annoncer, lors de ma dernière visite il y plus de deux mois, que c’était fini, que c’était victoire, qu’il ne prenait plus d’anxiolytiques !

Il faudra tout recommencer, tout, pour réparer les dégâts psychologiques causés par un surconfinement qui emmure l’homme H 24, coupe tout lien avec autrui et empêche toute fuite de l’imaginaire.

… non, pour sûr, tout vivants que nous sommes,  nous ne sommes pas faits pour vivre emprisonnés2.

1« Auxi », pour auxiliaire : Un détenu qui travaille

2Suppression, dans les lieux de privation de peine, des parloirs, des visites, de tout intervenant/intervention extérieur(e) prévue jusqu’au 24 mai

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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