Prison, peines de corps

C’est dans et par son corps que l’on s’inscrit dans le monde extérieur. En privant une personne de liberté, la prison exerce une contrainte aux conséquences  multiples sur l’esprit, et sur le corps.

Au fil des siècles, l’homme n’a cessé d’élaborer des stratégies pour restreindre le corps de celui qui a commis un délit. Hier, par le châtiment corporel puis le bagne, aujourd’hui, par l’enfermement réduite tantôt à une promiscuité insoutenable, tantôt à un isolement inhumain : la prison, privation de liberté, est, par définition, peine de corps.

Parce qu’ils séparent et excluent, ce sont les murs et les barreaux qui rendent visible la peine, pour la personne détenue comme pour la société. Corps écroué, entravé, fouillé, humilié, corps dénié, marqué, indigent, agressé, corps viol/enté, en manque, révolté ou soumis, corps malade, douloureux, corps négligé, constipé, aménorrhé, corps gréviste, affamé, anesthésié, corps mutilé, suicidé …

Dans le corps se stigmatisent les conflits du quotidien. La personne soumise aux horaires et aux repas imposés, au règlement pénitentiaire ou à la loi du plus fort, se chosifie, devient objet de dépendance – ou l’unique espace de liberté, sur soi, par la musculation, ou l’automutilation.

L’état du corps devient ainsi le reflet du vécu de la peine. Il est perméable au monde qui l’entoure ; il peut s’y imposer, pour exister, ou, au contraire, s’en séparer en se recroquevillant dans l’ultime réduit du dedans de soi. 

Chaque prisonnier vit « sa » prison et « sa » peine, la subit et la combat en inventant (ou pas) des solutions d’adaptation et de résistance. Dépossédé de lui-même, il éprouve une nouvelle perception du temps, un hors temps, dans lequel son corps est indéfiniment plongé dans un présent obsédant, qui tourne en rond, duquel s’estompe l’inconsciente habitude du corps en liberté. 

Dans l’enfermement, le corps est en état de dépendance à la fois symbolique, économique et institutionnelle. Passif et désœuvré, frustré, en colère ou abattu, il est dans une attente permanente : du parloir, d’un avocat, du CPIP, d’un travail, d’une formation, d’un espoir, d’une permission, d’un jugement. Et de la sortie. 

Continuellement sur le qui-vive, tendu, rarement en repos, le corps détenu est maintenu en alerte constante par les bruits d’une prison surpeuplée : tours de clefs, alarmes, coups contre les portes, cris, agressions multiples. 

Nous pouvons parler de triple ou quadruple peine quand se cumulent, à la détention, l’indigence, les troubles psychiques, la maladie (voire la vieillesse, et parfois la fin de vie).

La privation de liberté, comme sanction, implique-t-elle inévitablement, de fait, autant de maux, autant de peines, autant de bleus à l’âme comme au corps ?

Aujourd’hui, les peines effectuées en milieu ouvert et le bracelet électronique modifient et élargissent l’espace carcéral avec des murs qui n’en sont plus.

Du boulet au bracelet, comment aujourd’hui, demain, penser, vivre, la peine de corps ?

 

20 novembre 2018

Pour les petits frères des Pauvres,

dans le cadre des Journées Nationales prison

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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