Delphine, bénévole au centre pénitentiaire de Fresnes

Par M. C. Hardouin, présidente du Courrier de Bovet

J’avais souhaité recueillir le témoignage d’un.e bénévole intervenant à l’hôpital carcéral pénitentiaire de Fresnes. Le contact de Delphine m’a été fourni par Frédéric, coordinateur de développement social de la région Grand-Ouest de l’association Les petits frères des pauvres, que j’avais rencontré à Rennes lors de la deuxième réunion du Collectif prison Rennes. Rendez-vous pris, j’ai retrouvé Delphine dans son quartier à Paris. Elle m’avait conviée à la retrouver directement à Fresnes mais, ce jour-là, devant prendre le train pour me rendre à Dijon, c’était un peu bousculé. La visite à Fresnes a été reportée au mois de décembre. Aussi, est-ce dans l’ambiance feutrée d’un café parisien que Delphine a répondu en toute simplicité à mes questions et qu’elle a bien voulu me livrer les raisons de son engagement.

Delphine officie depuis 10 ans en tant que bénévole dans l’association des Petits frères des pauvres. Elle coordonne actuellement une équipe de 6 personnes qui intervient à la maison d’arrêt de Fresnes. L’histoire de ce bénévolat, comme beaucoup d’autres, se fonde sur la rencontre entre un désir en germe et le hasard qui le fait éclore.

Son envie d’aider les personnes en milieu carcéral lui est apparue à travers un regard. Un jour, à la gare de Lyon à Paris, un homme sortant de prison quémandait une pièce aux passants. Mal fringué, tatoué de manière voyante, il avait tout pour faire se détourner le voyageur pressé. L’homme voulait juste prendre un café pour se réchauffer et sollicitait une petite pièce pour se l’acheter.

Dans ce regard accusateur, plein de mépris et de crainte que Delphine a croisé ce jour-là, elle a senti naître ce besoin d’aider les détenus. Ensemble, ils sont allés boire un café. Quelque temps plus tard, une émission de France-Inter sur le suicide en prison, résonne et fait écho au regard de l’ex-taulard de la Gare de Lyon. Il ravive chez Delphine l’envie de faire du bénévolat en prison.

Le choix des petits frères des pauvres est encore le fruit du hasard. Un flyer remis un jour, à la sortie d’un cinéma. Delphine le trouve bien fait. La mission lui parle. Elle s’engage. Le volet carcéral l’intéressait plus que le milieu hospitalier mais c’est dans les centres de gériatrie qu’elle a commencé à intervenir pendant trois ans, avant de rendre visite, à l’hôpital carcérale de Fresnes, pendant six ans, aux détenus malades et démunis.

Il y a un an, elle a démarré l’action en maison d’arrêt où, avec une poignée de bénévoles, elle se rend, une fois par semaine à raison de 3 heures dans les murs. Mais, entre les contraintes liées au milieu carcéral, les grilles à franchir et la disponibilité des surveillants, elle ne peut voir que deux-trois personnes en moyenne chaque fois.

Cette expérience, dit-elle, lui ouvre une vision élargie et complète sur l’humanité. Étonnamment, elle parle d’émerveillement face à ces parcours de vie, elle ajoute « C’est Alexandre Dumas toutes les semaines !». Elle a conscience que son action n’est qu’une goutte d’eau pour combler l’immensité des besoins mais elle n’est pas découragée pour autant.

Delphine est une femme équilibrée, passionnée et engagée. Mariée, mère d’un adolescent de 13 ans, professeure de français dans un collège parisien, elle ne porte pas le poids du monde sur ses épaules et fait sa part en toute humilité. Quand elle est submergée par un trop plein d’émotions comme la fois où Régis, un détenu qui venait de mourir, avait laissé une lettre la désignant comme personne de confiance, il avait souhaité que ses cendres soient dispersées sur la barre d’Etel, au vent marin, elle écrit dans son blog https://tobeornot.fr/?author=1très joliment avec une grande délicatesse et beaucoup de respect pour les personnes qu’elle rencontre.

Pour vous donner envie de rendre visite au blog de Delphine, j’ai extrait ce post que j’ai beaucoup aimé lire, reflet de sa personnalité et de ce qu’elle laisse passer dans son humour :

Le rat de Fresnes et la fille de l’air

Fresnes s’éveille.

Tout doucement.

Dans un grand calme monacal.

C’est l’avantage du samedi matin.

Comme si on y avait bringué toute la nuit. Et qu’il fallait se reposer. Récupérer.

Tranquillité des surveillants, des détenus. Couloirs presque vides, parquet ciré de frais. Avec discrétion. Il est bientôt neuf heures, dans l’humidité de novembre, derrière les barreaux : Fresnes assoupie, tout doucement … s’éveille. On savoure cet état second, cet accord second, d’endormissement, d’assoupissement, sans alarmes, sans urgence, sans hautes tensions.

Ambiance du samedi matin préférable à tout autre jour de la semaine quand tous se pressent, s’oppressent, se cognent et se heurtent entre les murs. Hurlent, crient et l’alarme de retentir : filer doux, vite et droit le long du mur.

Nul visiteur aux parloirs éteints : j’ai l’embarras du choix. Je m’isole dans l’un deux en attendant le détenu demandé, m’encagnarde dans le boxe, sur la chaise comme dans mon manteau (c’est qu’il fait bigrement froid !). Et j’attends

Patiente

Le temps, pour le surveillant, de convoquer, faire chercher, faire descendre de l’étage, le numéro d’écrou invité à venir me rencontrer. Je tiens à mes mots. Et souris encore au souvenir d’une boutade de surveillant : Invité ? Rencontré ? Mais vous vous êtes cru où, ici ? Dans une agence matrimoniale ? On rend visite, on ne rencontre pas des détenus ! Très bien, la Visitation me va aussi ! 🙂

Patience

Yeux fixés sur la porte entrebâillée, j’attends ; oreilles tendues sur les petits bruits à décrypter, patiente. La prison s’asilence sur de lointains échos, retient son souffle, respire menu comme pour ne point réveiller la Bête, surtout pas … Loin des gueulantes de s’maine, de coursive en coursive, c’est qu’on s’chuchot’rait presque à l’oreille.

Je patience

Attente

Aux aguets

C’est alors que mes yeux s’arrondissent, s’agrandissent, bondissent, que me prend l’envie folle de bondir, sauter sur ma chaise, monter sur la table : face à moi, LA bête trotte menu.

Ce n’est donc point un mythe !

La bête va, tranquille, vaque et s’en va.

Et une autre.

A l’aise, bien dodue, le poils soyeux, on s’occupe bien d’elle ici (un 5 étoiles assurément !). Visiblement de la maison, elle s’arrête, prend le temps d’humer l’air, de-ci de-là, en quête de quelque ortolan.

Sa tranquillité m’est contagieuse.

Ce n’est donc point un mythe : je crus d’abord à un lapin (me voilà bien attrapée !), Ratatouille me fait face, file le mur, gros et gras, sa longue queue démentant ma première impression. Court sur pattes. A l’heure de la promenade. Paisible. Chez lui. Personne pour le chasser, le déloger d’un coup de balai, le massacrer. Les surveillants et les détenus ne font même plus attention à lui. La prison de Fresnes : une place royale fournie en détritus de choix, balancés depuis les fenêtres, à rogner. Ici, nos seuls animaux de compagnie, m’expliquait un détenu, les seuls à qui profitent nos maigres dons, qui nous rendent un peu Homme …

J’aurais aimé que l’on m’en débarrasse. Je n’ose plus sortir, filer les murs, trotter de division en division.

Deux heures plus tard, je sourirai lorsque le surveillant, dans mon parloir exigu, entre mon interlocuteur et moi-même, au coude à coude, s’escrimera entre nos deux chaises et la table, pour déloger coûte que coûte, en s’excusant mille fois pour le désagrément occasionné, une … mouche (!), certes une grosse fille de l’air, bien dodue, qui va, vient, fait l’empressée, comme disait La Fontaine, et dont le bourdonnement, assurément, n’en doutons point, nous dérangeait grandement !

Le monde est ainsi fait que l’importun n’est pas toujours celui qu’on croit !

Delphine D.

Paris, le 22 janvier 2018

Présentation de M. C. Hardouin

Pour le Bulletin du Courrier de Bovet

Automne-hiver 2018-2019

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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