Le rat de Fresnes et la fille de l’air

Fresnes s’éveille.

Tout doucement.

Dans un grand calme monacal.

C’est l’avantage du samedi matin.

Comme si on y avait bringué toute la nuit. Et qu’il fallait se reposer. Récupérer.

Tranquillité des surveillants, des détenus. Couloirs presque vides, parquet ciré de frais. Avec discrétion. Il est bientôt neuf heures, dans l’humidité de novembre, derrière les barreaux : Fresnes assoupie, tout doucement … s’éveille. On savoure cet état second, cet accord second, d’endormissement, d’assoupissement, sans alarmes, sans urgence, sans hautes tensions.

Ambiance du samedi matin préférable à tout autre jour de la semaine quand tous se pressent, s’oppressent, se cognent et se heurtent entre les murs. Hurlent, crient et l’alarme de retentir : filer doux, vite et droit le long du mur.

Nul visiteur aux parloirs éteints : j’ai l’embarras du choix. Je m’isole dans l’un deux en attendant le détenu demandé, m’encagnarde dans le boxe, sur la chaise comme dans mon manteau (c’est qu’il fait bigrement froid !). Et j’attends

Patiente

Le temps, pour le surveillant, de convoquer, faire chercher, faire descendre de l’étage, le numéro d’écrou invité à venir me rencontrer. Je tiens à mes mots. Et souris encore au souvenir d’une boutade de suveillant Inviter ? Rencontrer ? Mais vous vous êtes cru où, ici ? Dans une agence matrimoniale ? On rend visite, on ne rencontre pas des détenus ! Très bien, la Visitation me va aussi ! 🙂

Patience

Yeux fixés sur la porte entrebâillée, j’attends ; oreilles tendues sur les petits bruits à décrypter, patiente. La prison s’asilence sur de lointains échos, retient son souffle, respire menu comme pour ne point réveiller la Bête, surtout pas … Loin des gueulantes de s’maine, de coursive en coursive, c’est qu’on s’chuchot’rait presque à l’oreille.

Je patience

Attente

Aux aguets

C’est alors que mes yeux s’arrondissent, s’agrandissent, bondissent, que me prend l’envie folle de bondir, sauter sur ma chaise, monter sur la table : face à moi, LA bête trotte menu.

Ce n’est donc point un mythe !

La bête va, tranquille, vaque et s’en va.

Et une autre.

A l’aise, bien dodue, le poils soyeux, on s’occupe bien d’elle ici (un 5 étoiles assurément !). Visiblement de la maison, elle s’arrête, prend le temps d’humer l’air, de-ci de-là, en quête de quelque ortolan.

Sa tranquillité m’est contagieuse.

Ce n’est donc point un mythe : je crus d’abord à un lapin (me voilà bien attrapée !), Ratatouille me fait face, file le mur, gros et gras, sa longue queue démentant ma première impression. Court sur pattes. A l’heure de la promenade. Paisible. Chez lui. Personne pour le chasser, le déloger d’un coup de balai, le massacrer. Les surveillants et les détenus ne font même plus attention à lui. La prison de Fresnes : une place royale fournie en détritus de choix, balancés depuis les fenêtres, à rogner. Ici, nos seuls animaux de compagnie, m’expliquait un détenu, les seuls à qui profitent nos maigres dons, qui nous rendent un peu Homme …

J’aurais aimé que l’on m’en débarrasse. Je n’ose plus sortir, filer les murs, trotter de division en division.

Deux heures plus tard, je sourirai lorsque le surveillant, dans mon parloir exigu, entre mon interlocuteur et moi-même, au coude à coude, s’escrimera entre nos deux chaises et la table, pour déloger coûte que coûte, en s’excusant mille fois pour le désagrément occasioné, une … mouche (!), certes une grosse fille de l’air, bien dodue, qui va, vient, fait l’empressée, comme disait La Fontaine, et dont le bourdonnement, assurément, n’en doutons point, nous dérangeait grandement !

Le monde est ainsi fait que l’importun n’est pas toujours celui qu’on croit !

Paris,

le 22 janvier 2018

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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2 réponses à Le rat de Fresnes et la fille de l’air

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