Touche pas à mon église !

Camillo“Alors que Dalil Boubakeur a évoqué l’idée d’un partage des lieux de culte entre Chrétiens et Musulmans, certains imaginent le temple unique du «vivre-ensemble» qui servirait de mosquée le vendredi, de synagogue le samedi et d’église le dimanche…”

Alors que je relis ces lignes publiées, il y a trois jours, dans Le Figaro, que des enseignantes, depuis hier, se font insulter par des parents d’élèves pour avoir voulu apprendre aux enfants quelques paroles d’Imagine en arabe, et que débute, aujourd’hui, le Ramadan, me revient en tête une soirée de juillet, l’été dernier, avec mon amie Asma dans son appartement à Rueil.

21H45. Nous guettions à l’horloge les derniers rayons du soleil pour la rupture du jeûne, tandis que de charnues Deglet nour1, gorgées de lumière, patientaient sur une assiette marocaine, me faisant saliver, sur fond olfactif de harira2 joyeusement épicée : goûteux mirage, ondoyant dans cette chaleur estivale, à portée de doigts. Patience …

C’est alors qu’Asma, gênée, s’apprête à me quitter : “Heu, je peux te laisser quelques minutes ? Le temps que je fasse ma prière dans ma chambre…”. Nous venions d’échanger sur nos difficultés à “pratiquer”, sur le regard des autres, sur l’intolérance.
Alors je lui propose de ne point se cacher de moi. Voire, mieux : de prier ensemble. D’avoir, sous le regard du Dieu qui nous rassemble, ce moment exceptionnel en partage. En Son Nom.
Sous mes yeux, elle revêt son long voile noir, puis sort son tapis de prière rougeoyant comme un coucher de soleil ; je prends mon chapelet pour avoir mon Christ d’or entre les doigts. Et de nous tourner, côte à côte, vers la Qibla3, de concert, les mains levées, les mains baissée qu’importe, debout, agenouillées, face contre terre, contre ciel, qu’importe le rituel, mais surtout d’une même voix, impulsion, battement de coeurs
d’un même souffle

Allahou akbar … Notre Père, qui es aux cieux …

Je ne sais si vous avez vu les dernières scènes de L’Apôtre de Cheyenne Carron, mais vivre de tels moments de fraternité, d’autant plus improbables qu’incroyables, relèvent du miracle. Du divin.

Aussi, et tant pis pour les célébrations des pères Aldric, Gabriel et Stéphane qui me nourrissent tant, mais si une telle église venait à ouvrir grand les bras près de chez moi, alors je choisirais ce lieu oecuménique du Père universel, du “prier-ensemble”, du “louer-ensemble, du “rendre grâce-ensemble” où la fraternité, pour les enfants d’Abraham réunis, reliés, pourrait se vivre enfin avec un grand F – habitée que je suis du sentiment que j’y vivrais, au coeur à coeur, avec tous mes frères, quelque chose de vraiment très catholique, d’une katholicité4 vraiment accomplie. Originelle.
Pour une Parole, vivante, qui va bien au-delà des cultes.

Christ n’est pas une fin en soi – une pierre d’angle, faut-il le rappeler? ; l’église n’a pas de valeur en soi – idolâtrer un tas de pierres ?
L’une vise le rassemblement, moins des Chrétiens, que de tous les hommes, Ecclésia5, dans le partage d’une Humanité qui rassemble et agrandit l’homme. L’autre est un signe, qui montre une voie, un chemin de vie, d’humanité pour accéder au Divin.

De sorte que, pour paraphraser et actualiser saint Paul6 : Alors il n’y a plus ni Juif ni Grec ni Musulman ni Chrétien ; il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus ni homme ni femme : car vous n’êtes tous qu’une personne,
sinon une Personne, dans le fils fait Homme …

Imagine no possessions
I wonder if you can,
No need for greed or hunger,
A brotherhood of man,
Imagine all the people,
Sharing all the world …

You may say I’m a dreamer,
But I’m not the only one
(…)7

Paris, jeudi 18 juin 2015
A mon amie Asma

1Dattes
2Soupe
3Direction de la Mecque
4Du grec Katolikos = “Universel”
5Du grec Ekklesia : “Assemblée du peuple”
6Epître aux Galates, chap 3
7John Lennon, Imagine

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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