Coopération soignants-bénévoles : une responsabilité à partager

photo-29Pour la petite histoire …

L’arrivée des petits frères à l’EPSNF1

Cette action bénévole a démarré il y a treize ans, en juin 2002, à la demande de l’aumônier de l’hôpital, à la suite d’une lettre adressée aux pfP2.

Un bénévole s’est d’abord lancé, seul, dans l’aventure : prise de contact avec le responsable pénitencier et le cadre de santé. Il a exercé son bénévolat à titre expérimental pendant deux ans.

Une Convention, ensuite, fixant les conditions de visite du bénévole, auprès de la pénitentiaire et du médical, a été signé en 2003.

Puis trois bénévoles sont arrivés, en 2005, permettant l’intégration d’une véritable équipe de terrain, fidèle et stable, puisqu’ils poursuivent toujours leurs visites, dix ans après.

Nous sommes, aujourd’hui, une équipe constituée de cinq bénévoles.

Nous avons tenté d’étendre notre champ de visites au Grand Quartier3, mais nous avons dû y renoncer par manque de bénévoles. Ainsi avons-nous concentré nos forces vives sur l’hôpital, ce lieu en marge de la société, en marge de la prison de Fresnes, où les personnes visitées correspondent davantage aux critères et missions pfP accompagnement des malades.

Nos missions

Accompagner, témoigner, alerter en faveur des personnes âgées, gravement malades, isolées, de plus de 50 ans (ce qui n’exclue pas, bien entendu, de visiter, sur signalements, des détenus de 18 à 49 ans).

Le bénévole va au devant de personnes jugées pour un délit, mais qui subissent une triple peine : l’incarcération, la maladie et l’isolement (du fait que les longues peines brisent liens sociaux et familiaux). Nombre de détenus n’ont ni parloir ni promenade et passent leurs journées, leurs semaines, leurs mois, sinon leurs années durant dans leur chambre (ici on ne parle pas de cellule), allant de leur fauteuil à leur lit, de leur lit à leur fauteuil, avec, pour seules sorties, les impératifs médicaux ou judiciaires.

Le bénévole accompagne, jusqu’au bout de leur vie parfois, des détenus très gravement malades qui ne peuvent pas profiter d’une suspension de peine pour raisons médicales.

D’ailleurs, à cet effet, l’Association dispose de logements (en nombre limité malheureusement) qui peuvent accueillir des patients libérables à cette condition.

Modalités des visites

Exceptés l’impératif de badger4, le contrôle au sas d’entrée, le dépôt du téléphone portable dans un casier, les modalités de nos visites ont évolué en même temps que notre partenariat s’est renforcé avec la pénitentiaire et le médical.

Et ce, grâce, tout d’abord, à la Convention. Avant, durant les premiers mois, les visites avaient lieu au rez-de-chaussé, dans le parloir avocat, sur signalements de l’assistante sociale. Le bénévole était donc coupé des soignants aux étages. Seuls les détenus suffisamment valides pouvaient venir jusqu’à lui (ce qui excluaient les déments, les alités, les “pépés” impotents).

Grâce à la Convention, les bénévoles ont l’autorisation, le droit d’aller dans les chambres-cellules, d’être au chevet des plus malades, des plus isolés, des plus démunis. Ils ont le droit de circuler dans les trois services de l’hôpital5 (ces deux spécificités de fonctionnement les distinguant des “visiteurs de prison” attachés à un détenu, rencontré au parloir). C’est à ce moment-là que les bénévoles ont pu entrer directement en contact avec les équipes soignantes devenues notre principal interlocuteur pour les signalements.

De la rencontre …

Aller au devant du malade détenu …

ne se fait pas simplement, directement : encore faut-il passer, dans chacun des services, par trois intermédiaires :

– L’équipe soignante qui nous signale et nous présente les personnes isolées à qui une visite ferait du bien. Fait remarquable : elle ne conserve pas le monopole du “secret médical” qui est partagé, a minima, pour notre sécurité ou pour faciliter, donner sens à la rencontre. Plus d’une fois j’ai expérimenté que, dans l’urgence de la visite, connaître un minimum les maux du malade permet une écoute affinée, pertinente, fructueuse et bienfaisante au profit du patient

– Le surveillant, sésame de toutes les chambres, qui y va parfois de son signalement, de son commentaire

– La porte de la cellule, froide et massive : un symbole fort, sonore, avec sa clef et son penne, qui matérialise un passage, un dehors et un dedans, miroir de la fenêtre à barreaux qui lui fait face

“Rencontre de soutien” ?

Du “soutien” : tout un programme, un horizon de promesses … Ce mot qui résume souvent notre “utilité” me fait sourire, moi qui me présente souvent aux détenus en leur affirmant que je ne suis rien (ni médecin, ni assistante sociale, ni avocat…), que je ne sers à rien (ni piqûre, ni médicaments, ni dossier pour faire avancer leur affaire…), que je ne ferai rien d’autre que d’être tout simplement “là”, pour papoter un peu s’ils le souhaitent et que, surtout, ils se sentent à l’aise, “libres” de me mettre dehors quand ils le veulent.

De fait, plus que du “soutien”, plus que de “remonter le moral”, le bénévole d’accompagnement apporte, offre un bien dont le professionnel, en exercice, avec tant de lits à voir en peu de temps, ne peut disposer : la disponibilité, le temps, l’attention (l’un passera dix minutes où l’autre s’attardera une heure).

Aussi laisserai-je le soin aux patients et à nos partenaires de préciser la nature de notre “soutien” … mais je me prends souvent à rêver, à espérer que sur du “rien” beaucoup peut se construire …

Jusqu’au bout de la vie

En tout cas, “remonter le moral”, “ soutenir”, sont de bien grands objectifs quand il s’agit d’être au plus près de détenus en fin de vie. Dans les prisons françaises, faute d’avoir pu obtenir une suspension de peine (car sans logement, sans personne pour s’occuper d’eux à leur sortie), il est encore trop de personnes âgées, de 80 ans et plus, indigentes, impotentes, démentes, qui ne parlent plus, qui ne peuvent plus manger, se laver, aller aux toilettes sans aides. Des personnes seules dans une chambre anonyme meublée du seul lit médical, avec, pour seul habit, le pyjama papier bleu des hôpitaux de Paris ; des personnes emmurées dans leur silence, sans TV, sans parloir, sans promenade, sans histoire (ne faisant aucun bruit, ne se souvenant de rien d’ailleurs), des personnes qu’on oublie de me signaler car elles ne sont plus “rien”, pour qui notre présence ne se résume plus qu’à un son de voix, un silence, un regard, une caresse.

Des patients au pronostique vital engagé qui peuvent parfois vous demander d’être leur personne de confiance pour accueillir leurs dernières volontés.

Des personnes dont il s’agit d’être moins “soutien” qu’accueil de leurs douleurs, souffrances, désir de mourir, d’en finir …

De l’implication à la collaboration

En plus de notre présence auprès des malades, notre Association est fortement impliquée (du fait de trois bénévoles sur cinq) dans le fonctionnement de l’hôpital en participant aux différentes instances :

– Commissions des Soins Médicaux et Infirmiers

– Conseil d’Administration

– Commission de Représentation des Usagers

– Mécénat d’un jardin thérapeutique

– Groupe de réflexions éthiques interdisciplinaire

– Partenariat d’hébergement post-carcéral

Evolution remarquable : l’implication pfP a viré à la collaboration, à une coopération active grâce à plusieurs actions communes qui ont soudé, resserré nos liens :

– A partir d’un tournant, d’une célébration, celle du dixième anniversaire de notre implantation à Fresnes. Temps fort fêté entre les bénévoles, la pénitentiaire et le médical au siège pfP comme en prison

– A l’occasion de la sortie du film documentaire de Yan Pröfrock, Une présence inconditionnelle, (2012), réalisé à partir de témoignages de malades, bénévoles, médecins, infirmiers, surveillants

– Sans compter notre dernier bébé, sorti en mai dernier : Les Don Quichotte de l’espoir, recueil de témoignages à plusieurs voix

– Sans oublier notre opération cartes de voeux pour les détenus et notre réunion annuelle, autour du directeur de l’établissement, pour échanger sur les améliorations à apporter à notre partenariat

– … et cette communication d’aujourd’hui, à deux voix, souhaitée par Sylvie Ballanger, médecin chef de pôle

Etre accompagné pour mieux accompagner :

qui prend soin de l’autre ?

Nourrir l’échange

Aujourd’hui, je repense à ce bénévole qui a posé les pieds dans ce lieu clos, hostile, déshumanisant, qu’est l’EPSNF, il y a 13 ans … Ce temps où il frôlait les murs, filaient droit entre “les Bleus” de la pénitentiaire et “les Blancs” du médical, ce temps où le mot d’ordre était surtout de ne pas se faire remarquer, de ne pas déranger les professionnels, de se faire oublier … Et je suis sure que ce bénévole, qui rêvait beaucoup alors, n’aurait jamais imaginé, même dans ses rêves les plus fous, un partenariat aussi réussi, accompli, fructueux …

Aujourd’hui… limite d’ailleurs si je ne me fais “engueuler” quand mes congés s’allongent ou quand je ne prends pas le temps d’un café avec l’équipe, pour écouter les soignants, les surveillant, pour parler avec eux : “(…) car nous aussi nous avons besoin d’être écoutés !”, affirment-ils sous forme de boutade.

Aujourd’hui, du fait de la confiance, de l’estime du personnel soignant, de leurs attentes comme de notre complicité (le comble en détention !), notre coopération est telle qu’elle n’est pas sans conséquence sur ma pratique de bénévole, sur ma posture d’écoute : moins neutre, plus responsable et engagée.

Nourrir l’humain

Passer de l’implication à la collaboration témoigne d’une influence réciproque dans nos pratiques. Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de “signaler” des cas. Forts de nos savoir-faire comme de nos savoir-être spécifiques, à travers nos échanges, pluriels, nos actions, complémentaires, en vue du bien-être du malade, nous mutualisons nos moyens, nos pratiques, dans une entente tout simplement humaine : que nous soignions, que nous soutenions, que nous écoutions, nous ouvrons des portes pour que la vie de ces détenus âgés, gravement malades, vulnérables, isolés, puisse se vivre jusqu’au bout.

Confiance, estime, complicité entre professionnels et bénévoles : une atmosphère, un bain d’humanité qui profite à tous. Cette collaboration est d’autant plus vivifiante, dynamisante qu’elle s’épanouit, paradoxalement, en milieu carcéral. C’est important pour nous, bénévoles, pour vous, les professionnels, mais surtout pour eux, les malades : pour le bien-être de tous – cercle vertueux.

Nourrir la vie, cela, les machines savent le faire ; nourrir l’humain reste l’affaire de nous tous.

Une coopération tout simplement humaine, par-delà nos différentes casquettes, pour perfuser, dans cet univers ô combien déshumanisant, chez ceux qui ont été jugés indignes, sinon inhumains, perfuser humanité et dignité, jusqu’au bout de leur peine6.

1EPSNF : Etablissement Public de Santé National de Fresnes

2Petits frères des Pauvres

3La prison de Fresnes est un vaste ensemble qui comprend quatre secteurs : l’Hôpital, le Grand Quartier (pour les hommes), la Maison d’Arrêt des Femmes et l’Etablissement Psychiatrique

4Tout comme les détenus, nous avons un numéro qui nous identifie

5Médecine, Soin de Suite et de Réadaptation, Rééducation. Circulation facilité par le droit d’avoir en main une clef permettant de franchir les grilles entre sas et services, depuis 2011

6Parole d’un détenu, quitté les yeux rougis, en bord de larmes : « Bon sang … je n’y crois pas … il faut que j’aille en prison pour découvrir ce qu’est l’a…. », d’un mot qui en recouvre bien d’autres qui commencent par un a mais qui ne se terminent pas forcément par un ; mots qui se terminent par un r mais qui ne commencent pas forcément par un a : mot panel riche d’une humanité à déployer

Communication avec le Dr Sylvie Ballanger,

médecin chef de pôle de l’EPSNF,

à l’occasion du congrès de la sfap

– Partager et transmettre –

25-27 juin 2015

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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