C’est la faute à …

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L’immigration ?

L’islamisme ?

Le fanatisme ?

La mondialisation ?

Faille sécuritaire ?

Fragilité identitaire ?

Angoisse existentielle ?

Besoin spirituel ?

Le tout exacerbé, renforcé, accéléré à l’ère du numérique, du tout-va-trop-vite ?

Désolée, mais depuis que les meurtriers ont été abattus, les nouvelles ne m’intéressent plus. En fait, pour être plus juste, elles ne m’intéressent plus depuis que les 12 ont été abattus, mercredi.

Désolée, mais, au risque de vous choquer, et sans doute ai-je tort, mais, des assassins, peu me chaud de leur photo, de leur couleur, de leur profil, de leur étiquette… Du moins ne m’intéressent pas les commentaires, analyses, dissections psychologiques qui seront pondus sur eux sans que nous puissions les entendre – mon expérience en prison m’apprenant combien la complexité d’une personne est irréductible à ses actes.

Des infos qui ne m’intéressent plus depuis que j’en sais le principal : ils étaient français, comme moi je m’appelle Benabdelhadi ; les deux frères avaient grosso modo l’âge de mon jeune frère ; ils avaient grandi sur les bancs de notre école républicaine.

Et puis la fracture, le désamour. On les a perdus. La prison. L’Irak. Ils se sont perdus. L’engrenage de la violence. De la haine.

Ma radio est en berne, ainsi que les journaux que je n’ouvre plus. Tout me devient indigeste.

Hier, aujourd’hui, demain, la chasse aux sorcières, la désignation du coupable, haro sur le bouc-émissaire. Parce qu’il faut – pour que le deuil, la justice, un demain puissent se faire -, qu’il y ait faute. La faute à quelqu’un, la faute à un groupe, la faute à une idée, un concept, une religion, une idéologie, un système.

Je suis tombé par terre

Des infos qui ne m’intéressent plus vraiment parce que, me semble-t-il, dans le fond, depuis que l’Homme est homme, à relire vraiment l’histoire, notre Histoire, dans les grandes, petites et entre les lignes, il n’y a rien de révolutionnaire sous le soleil. Et qu’on n’en tire jamais complètement les leçons, les causes, les conséquences.

On peut manifester à coups de slogans des “Plus jamais ça !”, nos trois barbares d’aujourd’hui sont plus ou moins ceux d’hier et, excusez-moi de jouer les Cassandre (vous connaissez pourtant mon optimisme), seront les mêmes, différemment, demain. Une question, peut-être, moins d’accélération, de renforcement, que de mutation de l’hydre de Lerne. Qui vivra toujours tant qu’on s’obstinera à ne se contenter que de lui trancher les têtes, tant bien que mal, à coups de mesures sécuritaires, au lieu de la soigner aux pattes.

Le nez dans le ruisseau ….

Après tout, c’est peut-être mieux ainsi, plus confortable : islamisme, fanatisme, mondialisation, crise identitaire, la crise tout court et tout le tralala, saupoudré de blablabla, d’autant plus que c’était mieux “hier” quand ils n’étaient pas là, quand y avait pas tout ça… Et puis, au moins, la faute c’est l’autre, c’est visible, ça responsabilise et me déresponsabilise. Je m’en lave les mains. Y a rien à faire, suis pas concernée, pas responsable, ça m’dépasse en plus, c’est leur problème (à l’Etat, à l’Europe, au monde), pas l’mien, qu’ils me fichent la paix et dégagent s’ils sont pas contents.

Ce serait tellement plus simple. Blanc ou noir. Mais, n’en déplaise à Figaro, sur ce coup-là, j’ai toujours préféré la conjonction “et”. Et encore mieux « avec ».

C’est la faute à …

C’est la faute … Et… et s’il y avait, aussi, un … défaut de ? Sinon … à défaut de ?

arme d'instruction massiveCf Les Déshérités de Bellamy, je n’ai rien à ajouter de plus

Cf l’ “utilité” des prisons

Cf mon administration qui, par crainte, me refuse une sortie scolaire pour “me protéger” des questions des élèves, des réactions possibles de parents musulmans : le rien plutôt que la rencontre, et l’ignorance pour tous

Cf….etc……………………………………………………………………………………………………………………………….Je vois tellement de manques à ma mesure, sur les bancs comme dans les cellules de notre République : que restera-t-il de notre solidarité nationale demain ? Que restera-t-il de notre marche ? Je veux dire concrètement, au-delà des mots, en actes. Quels moyens, non pas financiers, mais humains, déployer ? Quelle contribution apporter pour qu’il n’y ait plus de frères Kouachi ? Quelles leçons tirer ? Comment continuer à avancer, ensemble ?

Je ne fais que poser des questions.

Avant de terminer par un partage d’expérience. A ma petite échelle.

A chaud, dans le choc de cette tragédie, j’ai lancé en cours, avec mes élèves, mon Charlies’children en pensant que je ne récolterais que des “Je suis Charlie” à l’unanimité.

A l’unanimité. Oui… enfin… c’était sans compter un mouton noir,

non : mon mouton noir, le sale gosse de mon troupeau à jouer de la provoc’ en écrivant irrespectueusement : “Vous vous êtes tous bien fait niquer !”. Je venais de leur parler de la liberté d’expression ; je censurais deux minutes plus tard …

La faute à mon élève ? A sa famille ? A sa religion ? Au système ? A l’immigration ? A Al-Qaïda ? A la mondialisation ? A ma permissivité ? Crédulité ? Que sais-je encore…

Mais surtout que faire ? Comment réagir ? Déchirer la feuille ? Lancer un débat en cours – pour ou contre ? Engueuler ? Condamner ? Faire un rapport ? Crier au sacrilège ? Conseil de discipline ? Exclure 8 jours ? Fermer les yeux ? Battre en retraite ? Entrer en guerre ?

Lui ou moi ? Charlie vs Mahomet ?

Comment se sortir de la logique de l’échec, de la victoire, du qui a tort, qui a raison, du combat de coqs, c’est moi l’plus Grand ?

Le lendemain, hier, j’accompagnais Amine et ses camarades au cinéma. Tous deux trouvions notre réponse à la fin du film, juste avant que la mère de Fatiah, sur les marches ennuitées de la Défense, ne m’apprenne que c’était fini, ne partage ses peurs pour sa communauté :

Dieu : Tu n’as pas toujours été d’accord avec moi.

Moïse : Toi non plus, tu n’as pas toujours été d’accord avec moi.

Dieu : Oui, mais on n’a jamais cessé de discuter” (Exodus)

On naît, n’est pas libre… on le devient…

Plus : on le co-devient.

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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