R.I.P Aline

………………………………………………. corps allongé. Corps dénudé. Corps tendu. Et abandonné.

Yeux clos. Lèvres entrouvertes. Le souffle court. Nuque en arrière. Abandonnée. Entre mes mains livrée. Posée. Sans défense. Sans ultimatum. Ad vitam aeternam. Aux bois dormants.

Temps, suspends ton vol !!!

Et donne-nous le temps de dénouer ces nœuds de vie, ces nœuds de mort, ces nœuds qui ripent sous mes paumes malhabiles.

 

Masser d’abord la nuque. Puis le visage. Les doigts remontent et se déploient tel un filet de pêche, tout autour d’une coquille crânienne, quasi pelée de près. Attraper tout un banc de petits maux. A la traîne.

Presser, détendre, malaxer

Cartographie nerveuse. Des pulsations d’énergie quand le corps faiblit. Comme noyé dans quelque marasme organique.

Front, yeux, lèvres, menton, oreilles, abdomen, jambes, orteils. Sans oublier le creux des mains.

Masser, presser, exhumer

Toute la négativité d’un corps impassible qui a mal. Sous le flux et le reflux de mains qui, telles des vagues, le portent et l’emportent dans le ressac des souvenirs, le tourneboulent sur les sables rugueux de la mémoire, et le déposent, à bout de souffle, sur quelque plage mémorielle.

Passer, détendre, apaiser

Tandis qu’en un murmure tu bascules sur ton flanc droit en un repli foetal, mes bras t’enveloppent d’une écume qui se veut aussi tendre qu’amicale. Robinson dans sa cavité subaquatique.

Caresser, protéger, materner

Faire barrière.

Barrage.

Contre quoi ? Des la(r)mes de sel qui peinent à venir ? Les remous amers de la colère ? Les quarantièmes rugissants d’une révolte en devenir ?

Les bras pendent, nonchalants, dans les abîmes. Tu as largué les amarres. Parti. Tu tangues entre deux eaux vers je ne sais quelle contrée. Nulle part. Mais surtout ailleurs. Je tiens dans mes bras un corps-mort, comme on dit en marine, auquel je reste accrochée pour l’empêcher de dériver, de chalouper, de chavirer. Corps ballotté au gré de mes pressions.

Voguer, pacifié, harassé

Et pourtant il faut revenir… Le temps reprend son vol. Sur cette terre. Ferme. L’éternité n’est pas ton heure. Corps inerte, sans jus, sans peps, sans fluide, dans mes bras portuaires.

Massé, dénoué, consolé

Les paupières vibrent telles des voiles ; elles galèrent à retrouver la lumière. Les lèvres peinent à se faire entendre. Les mains à s’amarrer à mes chevilles. Puis, tout juste audible, un murmure dans les calmes, répété : « Allonge… allonge-toi près de moi … Sais-tu quel jour on est ?

– … Mercredi, mercredi 16 juillet 2014

– Non… je voulais dire, hier, avant minuit…

– … mardi, mardi 15 juillet

– Sais-tu pourquoi je suis dans cet état-là ? Pourquoi je me sens complètement à plat ? Pas bien ? En colère ?

– …

– Mardi 15… Il y a trois ans …

– …

– … Trois ans… trois ans … qu’Aline est partie

(Je m’) éclipse

Repose, en, paix

Pour S.

Samedi 19 juillet 2014

Aline

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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