Respirations

Outre les futons dépliés-repliés quotidiennement sur les tatamis, outre les petits-déjeuners salés (soupe, riz, poisson) et les multiples mises en bouche aussi savoureuses que raffinées, je me souviendrai de l’affabilité, de l’extrême gentillesse, de la prévenance, de la délicatesse, de la courtoisie, de l’efficacité, de l’humilité, de la discrétion, de l’éloquence silencieuse, de … de … des Japonais croisés sur notre route.

L’un, multi-révérencieux, gêné de nous réclamer, murmurer, le surplus tarifaire d’un billet de train Express ; l’autre se dévouant pour nous conduire, dans un détour de quatre kilomètres, à notre minchuku (chambre d’hôte) ; celui-ci, sensible à nos regards hagards, se dirigeant vers nous d’un pas âgé pour nous orienter ; celle-ci m’offrant avec joie et fierté deux yukatas (sorte de kimono) fleuris de sa jeunesse ; celle-là, son chapelet bouddhique… Partages et échanges alors même que nous ne connaissons pas cinq mots de japonais, alors même que ceux-ci ne parlent pas trois mots d’anglais et ignorent tout du français. Comme quoi l’essentiel peut bien se passer de mots ! Et seuls nos gestes, nos regards, nos visages expressifs pour nous comprendre.

Le Japon. Un archipel fortement industrialisé, sans que la machine n’ait pour autant remplacé l’homme. Honshu, Kyushu, Shikoku se profilent dans la brume océanique, les fumeroles volcaniques, les vapeurs industrielles : un ciel laiteux, un ciel soja, un ciel laineux. Et des beautés printanières à chaque coin de rue, modestes.

Ici, point de note dysharmonique. Des mets aux jardins, de l’habitat aux tenues, tout est savamment orchestré. Ici, ni détonation, ni agressivité : “Cri, tag, graffiti, violence, agressivité, nuisance, hurlement, mendicité, saleté, puanteur, laideur” semblent n’être que des concepts étrangers, réservés aux “barbares” de l’Ouest. Nul klaxon, nulle poubelle dans les rues, tant on y est policé et propre, comme une seconde nature. Tous, tout est assimilé, intégré, intériorisé, méticuleusement – jusqu’à l’excès ? Seule, sur le petit écran, l’émotion endeuillée de Fukushima reflue, refleurit à peines retenues deux ans après.

L’un de nos hôtes me donne à lire une traduction google sur son Iphone pour me signifier que je regagnai la France pleine de “respirations” : zen, calme, sereine, je serai :-). Alors je pense à mon retour. Je le visionne même du point de vue d’un japonais : les “charmes” de notre RER B (de l’achat du billet, à sa tenue, à son parfum, sans parler de son côté clean), tout le trajet tagué de mille et un graffitis colorés jusqu’à Paris, les SDF en bas de chez moi, se réchauffant le soir dans leur duvet douillet, sur une confortable bouche d’aération :-(. Sans compter les cris, les hurlements, les coups donnés dans les murs, les bousculades, les Qu’est-ce t’as toi ? J’fais c’que j’veux d’abord ! de mes bons p’tits diables. Bref : formes d’une agressivité ambiante devenue banale, sinon “normale”.

 J’écris ces lignes en plein vol, dans un avion plein de silence, quelque part au-dessus des pleines enneigées de Sibérie. Le Japon est désormais derrière moi. Je tourne le dos à ce “monde flottant”, réalité irréelle. Un bout de rêve au bout du monde. Je pense à demain, pleine de “respirations”. Oui, Hidaka, je respire doucement, et légèrement frissonne.

(Retour de mon voyage au Japon, du 2 au 16 mars 2013)

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
Ce contenu a été publié dans des Mots d'ailleurs, avec comme mot(s)-clé(s) . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *