« A quoi bon ? »

« Mon positionnement sur l’euthanasie a radicalement changé au fil du temps, de mes accompagnements, de nos réflexions et des responsabilités endossées.

Quand je suis arrivé chez les petits frères, en 2008, j’étais encore dans l’insouciance de la jeunesse, me projetant dans mille et un projets, avec la vie devant moi. N’ayant jamais été confronté à maladie grave ni au deuil, je ne me sentais pas concerné par la fin de vie. Un sujet que je zapais complètement ! Aussi, par simplicité et automatisme, adhérais-je au principe de l’euthanasie. Stupidité ? Je concevais même alors l’idée de suicide : mettre fin à ma vie, absolument. J’étais catégorique : plutôt mourir que d’être une charge pour ma famille, tant cela me paraissait choquant de peser sur les autres.

Et puis, en intégrant cette association, je suis entré dans des débats qui m’étaient alors éloignés. J’ai pris la mesure de la complexité de ce sujet, d’un tel acte : les difficultés pour se suicider, les responsabilités qui pèsent sur ceux qui aident au mourir, les enjeux éthiques, moraux, institutionnels, spirituels. Un acte fort !

La Loi Léonetti, même si elle doit être encore améliorée, m’a permis de nuancer mon positionnement, de murir ma réflexion : elle permet la prise en charge du mourant, le laisser mourir contre l’acharnement thérapeutique en économisant un acte lourd d’implications diverses.

Mais surtout, je me suis rendu compte que notre bénévolat participe aussi à cette prise en charge du mourant. J’imagine que, même si je suis seul, vieux, malade et isolé, demain, j’aurais peut-être un retour de ce que je fais aujourd’hui, que je serais accompagné par un bénévole, que j’aurais encore des moments de vie dans ma maladie. Pourquoi ne les vivrais-je pas comme ma vie ?

Jusqu’à présent, aucun des patients que j’ai accompagnés n’a émis le souhait d’en finir radicalement avec la vie. Des plaintes, bien sûr : “A quoi bon ?… Ce serait mieux de mourir…”, mais ces personnes allaient mieux la fois suivante !

Beaucoup de gens vivent à grande vitesse, ont beaucoup vécu. Cette fin de vie dans la maladie peut être un temps de rélexion, de pacification avec soi, son entourage. Tant de choses peuvent encore se produire pour nous enrichir et conclure une vie dans la dignité. Non plus jouir de projets à venir, mais de chaque instant présent, découvrir des moments qui ne se passent jamais dans la “vie”. La fin de vie comme moment particulier de notre vie.

En 2010, j’ai accompagné les derniers mois d’une dame atteinte d’un cancer. Des mois de souffrance. Elle a témoigné de son attachement pour la vie, jusqu’au bout. Même dans les conditions de la maladie grave, la vie mérite d’être vécue, découverte, rencontrée ».


Témoignage de Giancarlo, bénévole à la fraternité accompagnement des malades, recueilli pour L’Inattendu, « Euthanasie : faut-il franchir la frontière ? », octobre 2012.

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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