Feu n°690800

« Vous êtes Delphine ? questionne la conseillère d’insertion et de probation. Le petit monsieur est décédé peu avant 17 heures. C’est inhabituel comme situation : aucune famille à contacter dans son dossier, seulement une lettre vous désignant comme personne de confiance. Non, vous ne pouvez pas venir veiller le corps. Il va être transféré à l’Institut médicolégal pour être autopsié. Non, on ne sait pas quand. Je ne peux rien vous dire. La police s’occupe du corps. Après ? Je ne sais pas. Je transmets vos coordonnées au Lieutenant qui a charge du dossier. Peut-être qu’il vous rappellera ». Peut-être…

Régis … La soixantaine. Grand escogriffe à l’esprit alerte. Dans un corps de vieillard. Gravement malade. Incarcéré depuis deux ans. En attente de votre jugement. Isolé dans votre cellule. Vous n’étiez qu’attente. Impatient. De la fin.

Ancien garde du corps, vous avez serré de près le gratin, jusque dans la Tour d’argent, comme le menu fretin, dans le 9.3. Raison pour laquelle vous refusiez d’aller en promenade, dès fois que l’un de ceux que vous aviez foutus en taule ne vous reconnaisse !

Ce métier ou un autre… à défaut d’avoir pu être marin, comme feu votre père, mort dans les flots. Epargner votre mère. Mer… A elle vos rêves et votre espérance. A elle votre amour et votre dernière volonté. Pour elle que vous m’avez désignée « personne de confiance ». Pour vous ramener à elle. Vos retrouvailles. Serment au pied du lit.

Mais le pourrai-je ? Me le permettra-t-on ? Tiendront-ils compte de vos dernières lignes malhabiles ou vous expédieront-ils dans quelque fosse commune, en région parisienne ? Ce que vous redoutiez tant. Tant, déjà, pour votre « famille », pour la société, vous n’étiez, de l’autre côté des barreaux, plus rien. Pas même un numéro d’écrou. Inconnu. Même plus un frère. Pas même un fils. Oublié. Jamais né. Inexisté.

De votre corps défendu, j’oscille entre colère et tristesse. Et ce sentiment d’impuissance…. Intolérable à cette heure où j’enrage.

Je me sens seule avec vous ce soir et j’en appelle à une pensée fraternelle et commune auprès des miens, sinon à une prière universelle. Pour vous accompagner. Au plus Loin.

On peut si peu, hein ?

Et j’espère, mon Dieu, que, demain, la Loi, l’Etat, me permettra d’honorer ma promesse,  que vos cendres seront libérables,                                                                                          pour un retour au pays natal,                                                                                                   tant et tant convoité, aspiré, rêvé, prié du fond de votre galetas ……

………… Que, dispersées sur la barre d’Etel,                                                                                 vos cendres seront libérées au vent marin,                                               poussière de vous poussière d’humain                                                          mêlée aux embruns armoricains

Invictus                                                                                                                                       « Vous savez, moi, depuis que j’ai dix ans, on ne me commande pas ! 😀 »

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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