D’une soirée islamo-chrétienne, retour de conférence

Ce soir-là, pourtant, l’essentiel se joua ailleurs. Ni vu ni entendu. Tant nous avions l’oeil et l’ouïe attirés, éblouis, tel le phalène, par les grands, par les titres, par ceux qui brillent dans la lumière, au centre, au choeur, au micro. Normal : ce sont eux que nous avions invités, annoncés ; ce sont eux que nous sommes venus écouter nous parler du Dialogue islamo-chrétien : « Prophétisme ou naïveté ?».

Eux ? Ce jeudi 13 octobre à 20 heures, en l’église rue Ampère (Paris XVII), nous avons eu l’insigne honneur et l’immense joie d’entendre Gérard Testard (président d’Efésia et responsable du mouvement Ensemble avec Marie), Cheikh Mortada (représentant du chiisme en France), Imam Benali (recteur de la mosquée de Saint-Ouen) et Mgr Gollnisch (directeur de l’Oeuvre d’Orient).

De gauche à droite : Cheikh Mortada, Mgr Gollnisch, Imam Benali et M. Testard

Au terme de ces interventions, comme d’aucuns, je voulus me précipiter au bas de la scène pour les saluer, les remercier, me régaler encore de belles miettes d’idées porteuses d’espérance et de fraternité. Ainsi, vite !, de regrouper et ranger feuilles éparses, stylos, téléphone. Je me lève, m’apprête à m’envoler jusqu’à nos quatre orateurs, lorsque mon œil achoppa par-devers moi sur deux femmes se tenant derrière moi. Passantes quasi inaperçues. Aussi silencieuses que fantomatiques. Rendues à l’état d’invisibilité. Présence discrète occultée par les colonnes de la travée et l’obscurité latérale. Sans compter leur foulard de musulmane.

Présence discrète, mais belle et bien réelle, en marge des paroissiens massés dans la nef.

Alors que plus d’uns s’empressaient au pied de nos stars, ces deux demoiselles rayonnaient humblement, telles deux étoiles tombées d’on ne sait où au pied de notre Mère. Loin de la houle, elles élevaient leur regard vers Elle, Marie la Vierge, la seule femme nommée dans le Coran, bien plus – comme tout juste expliqué par Gérard Testard – que le prophète Mohamed (34 fois!1).

Rarissime spectacle : mon essentiel était là, celui de la rencontre qui s’offrait à moi. J’en oubliai mes grands hommes et me fis tout entière à ces deux anonymes qui, par leur jeunesse, en sus de leur voile de fidèle, tranchaient doublement avec nous tous. « Soyez les bienvenues !

– C’est si beau ici !, s’extasièrent-elles. C’est la première fois que nous entrons dans une église ! C’est un peu le hasard qui nous a conduites ici… L’affiche nous est parvenue, via les réseaux sociaux, jusqu’à la fac. C’est tellement rare comme manifestation ! C’est génial ! Alors on est venues ! On a vraiment aimé ce qu’a dit le chrétien, la deuxième personne…

– Ah oui… Mgr Gollnisch…

– Oui, c’était très juste de dire qu’en Orient, il n’y a pas que les Chrétiens qui sont attaqués, que des Musulmans meurent aussi, victimes du terrorisme. C’est vrai aussi : « le Dialogue interreligieux, c’est pas n’importe quoi » : il suppose « un pas d’audace important » (comme celui, pour nous, de venir ici!), une grande « force intérieure » car il faut être capable de s’écouter mutuellement, de « reconnaître ce que l’autre a de beau et de bon en lui », mais aussi de « reconnaître chez soi ses propres limites et fragilités », et, enfin, parce qu’il faut « bosser, se former », approfondir ses connaissances quant à la religion de l’autre, afin de ne pas tomber dans la caricature.

– Moi, renchérit son amie, j’ai aimé l’idée que, par la rencontre et le dialogue avec l’autre, parce qu’il est justement autre, différent, ça nous permet de grandir aussi dans notre propre foi. 

– C’est vrai, reprit sa consoeur, c’est pas évident de comprendre que pour vous, Jésus, c’est pas un prophète, mais le « Fils » d’un Dieu qui est « Père » … Pour nous, les Musulmans, c’est un truc de ouf quand même ! Ça veut dire quoi au juste ? Nous, on est d’accord avec M. Gollnisch : on doit se rencontrer pour échanger, pour se comprendre, mais avec respect, sans faire du prosélytisme, sans vouloir convertir l’autre : ça, « ça appartient à Dieu » ! Et ce, sans tomber pour autant dans le relativisme, le syncrétisme. Comme il l’a très bien expliqué, cette démarche requiert « une exigence spirituelle et intellectuelle» réelle.

– Moi, avançai-je, j’ai beaucoup aimé l’intervention de l’Imam Benali, recteur d’une mosquée au financement cent pour cent français, édifiée en souci de fraternité avec les autres lieux de culte de Saint-Ouen. J’apprécie sa volonté première de transmettre aux jeunes, « citoyens français », dans ses prêches, des valeurs humanistes, universelles, en accord avec celles de la République, en s’intéressant à tous les croyants du secteur, à leurs frères en Allah (qui signifie tout simplement Dieu en arabe), notamment à l’occasion des fêtes religieuses propres à chaque communauté. Le combat à mener reste, pour lui, celui contre l’ignorance, les préjugés, les mauvaises interprétations (« sacralisées » qui plus est, au détriment de ce que dit en vérité le Livre!), les connaissances partielles ou partiales, alimentées par les médias. Plus que « vivre ensemble », il aspire surtout à « être ensemble ». J’ai déjà acquiescé à son invitation à venir pour le Ramadan ! J’aime son credo : c’est d’abord entre voisins, riches de mille et une richesses à découvrir, qu’il faut apprendre à être, à vivre, en se rencontrant !

– Oui, renchérit l’une, le rêve d’une « fraternité universelle », telle que vécue au Liban, comme raconté par Gérard Testard, où il existe un jour férié commun aux Musulmans et aux Chrétiens – le 25 mars !

– Ce qui suppose, poursuivit l’autre, comme l’expliqua Cheikh Mortada, de faire retour sur son propre cœur, de ramener en lui la paix, car on ne peut vivre en paix avec les autres si l’on n’est pas d’abord en paix avec soi-même. Plus qu’un intérêt spirituel et intellectuel, nos rencontres doivent nourrir, faire grandir notre paix intérieure. Le Dialogue, pour lui, c’est d’abord partager une amitié sincère, c’est vivre la fraternité, moins en parole que par des actes. »

Puis l’un des prêtres de la paroisse nous a interrompues en se mettant à lire en arabe un texte brandi sous le nez des jeunes filles. Polémique. J’en étais navrée. En connaissance de cause cependant, n’ignorant point en effet son refus du dialogue islamo-chrétien, ses sœurs et frères coptes ne souffrant que trop du mépris, des répressions voire des exactions islamiques. Mon cœur ne comprenait que trop sa colère. L’un des intervenants avait d’ailleurs posé, comme postulat de départ, à l’instar de la sœur du Père Jacques Hamel, la nécessité de pardonner – un chemin aussi ardu que difficile. Cependant, même s’il comprenait mon cher père, mon cœur, lui, souvent taxé de naïveté, refuse de se résigner et d’alimenter de bien sombres augures : la jeune et radieuse étudiante me faisant face, au pied de la Vierge à l’enfant, n’était-elle point porteuse de foi, d’une foi et d’une volonté communes ? Je contemplais son visage serti d’un voile gris perle, fixé par une jolie épingle à l’embout couleur rubis ; j’entrevoyais un avenir possible. Ensemble à construire.

Là était l’essentiel ce soir-là : un signe tangible. Visible. Bien que discret. Passé quasiment inaperçu. Une grâce. Source et promesse de joie et d’espérance. Que je n’ai pas eu la présence d’esprit de photographier, d’immortaliser, pour vous le prouver.

L’une d’elles lui ressemblait

Pour Les Cahiers de la Paroisse saint-François de Sales,

Octobre 2022

1Une sourate lui est d’ailleurs consacrée, la 19, intitulée Maryam : « (…) 16. Mentionne, dans le Livre (le Coran), Marie, quand elle se retira de sa famille en un lieu vers l’Orient. 17. Elle mit entre elle et eux un voile. Nous lui envoyâmes Notre Esprit (Gabriel), qui se présenta à elle sous la forme d’un homme parfait. 18. Elle dit : « Je me réfugie contre toi auprès du Tout Miséricordieux. Si tu es pieux, [ne m’approche point]. 19. Il dit : « Je suis en fait un Messager de ton Seigneur pour te faire don d’un fils pur ». 20. Elle dit : « Comment aurais-je un fils, quand aucun homme ne m’a touchée, et je ne suis pas prostituée?  » 21. Il dit : « Ainsi sera-t-il! Cela M’est facile, a dit ton Seigneur! Et Nous ferons de lui un signe pour les gens, et une miséricorde de Notre part. C’est une affaire déjà décidée ». 22. Elle devient donc enceinte [de l’enfant], et elle se retira avec lui en un lieu éloigné. 23. Puis les douleurs de l’enfantement l’amenèrent au tronc du palmier, et elle dit : « Malheur à moi! Que je fusse morte avant cet instant! Et que je fusse totalement oubliée!  » 24. Alors, il l’appela d’au-dessous d’elle , [lui disant : ] « Ne t’afflige pas. Ton Seigneur a placé à tes pieds une source. 25. Secoue vers toi le tronc du palmier : il fera tomber sur toi des dattes fraîches et mûres. 26. Mange donc et bois et que ton oeil se réjouisse! Si tu vois quelqu’un d’entre les humains, dis [lui : ] « Assurément, j’ai voué un jeûne au Tout Miséricordieux : je ne parlerai donc aujourd’hui à aucun être humain ». 27. Puis elle vint auprès des siens en le portant [le bébé]. Ils dirent : « Ô Marie, tu as fait une chose monstrueuse! 28. Soeur de Haroun , ton père n’était pas un homme de mal et ta mère n’était pas une prostituée ». 29. Elle fit alors un signe vers lui [le bébé]. Ils dirent : « Comment parlerions-nous à un bébé au berceau?  » 30. Mais [le bébé] dit : « Je suis vraiment le serviteur d’Allah. Il m’a donné le Livre et m’a désigné Prophète. 31. Où que je sois, Il m’a rendu béni; et Il m’a recommandé, tant que je vivrai, la prière et la Zakat ; 32. et la bonté envers ma mère. Il ne m’a fait ni violent ni malheureux. 33. Et que la paix soit sur moi le jour où je naquis, le jour où je mourrai, et le jour où je serai ressuscité vivant ». 34. Tel est Issa (Jésus), fils de Marie : parole de vérité, dont ils doutent (… ) ».

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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