Pérégrinations interreligieuses

Les vacances d’été, pour moi, c’est d’abord me remettre à jour dans mes lectures, dans une revue de presse qui, fin juin, bat son record de retards. Aussi suis-je partie en rangeant dans ma valises, entre autres lectures, les derniers hebdomadaires magazines La Croix afin de découvrir en avant première la bande dessinée1 consacrée à un missionnaire italien mathématicien, philosophe, astronome et horloger, que j’admire tout particulièrement : Matteo Ricci.

Bien avant saint Charles de Foucauld – un défricheur comme lui -, ce prêtre jésuite (1552-1610), fondateur de l’Eglise chinoise, inaugura, avec moult patience, tolérance, abnégation, diplomatie, intelligence, ouverture et curiosité d’esprit, le processus d’inculturation du christianisme dans la Chine impériale du XVIIème siècle, où il demeura 28 ans. Li Ma-tou (son nom chinois), qui avait toute l’estime, l’admiration et la confiance de l’empereur, fut le premier européen invité dans la Cité interdite. Autre reconnaissance : pendant longtemps, plusieurs de ses ouvrages comptèrent « parmi les œuvres les plus importantes de la littérature chinoise »2.

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Sur l’archipel de Malte, à la faveur d’un vieil ouvrage, je me passionnais ensuite pour l’histoire des Chevaliers de l’ordre de Saint-Jean, première armée « européenne », si j’ose l’anachronisme, constituée de soldats chrétiens de toutes langues, venus de tous horizons, pour, aux portes méditerranéennes de l’Occident, protéger la Chrétienté contre l’envahisseur mahométan. 

Au fil des chapitres, mon admiration ne cessa de croître pour ces Grands-Maîtres pleins de bravoure et de noblesse que furent, pour ne citer qu’eux : Pierre d’Aubusson, Philippe de Villiers de l’Isle-Adam, Jean Parisot de la Valette, le Chevalier de la Rivière… Jusqu’à forcer parfois l’estime de leurs adversaires ! Ainsi Soliman le Magnifique qui, au sujet de la mort héroïque de Villiers de l’Isle-Adam, fit-il « lire dans toutes les mosquées de l’Empire un résumé de ses hauts faits que terminait cette apostrophe : « Croyants, apprenez d’un Kafir3, comment on remplit ses devoirs jusqu’à être admiré et honoré de ses ennemis »4. Ou encore Salah-Reis, chef militaire ottoman, qui s’opposa aux siens pour qu’honneurs soient rendus au jeune martyr de la Rivière : « Ce chrétien était homme de courage et portait, dans son pays, blason de haute chevalerie. De plus, je l’ai vu pendant dix mois ramer sur nos galères sans rien perdre de sa fierté. Dans nos fers, il a sauvé la vie à deux croyants, dont l’un était mon oncle qu’il aurait pu laisser mourir. J’exige son corps pour lui donner sépulture décente ».

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Fin de l’été. Début septembre. Le temps de la reprise. Je termine tout juste la lecture du mensuel ÉTVDES de juin dernier. La chronique de la dominicaine Anne Lécu, médecin en maison d’arrêt, s’avère une belle transition automnale vers les vacances de la Toussaint. Elle y raconte son entretien avec une patiente musulmane qui fait le Ramadan pour sauver des âmes : « Il paraît que le Prophète, chaque année, grâce au Ramadan des croyants, sort des personnes des enfers, alors peut-être sont-ils vides, finalement ». Prier, en soi, n’intéresse guère la détenue, mais intercéder auprès de Mahomet pour vider les enfers, ça oui, au moins c’est du concret ! Puis de conclure, avec son bon sens populaire, après un partage d’expérience entre croyantes : « Que ce soit le prophète ou Jésus, ce qui compte, c’est que les enfers à la fin soient vides, non ? » – « Une sainte femme m’ouvrant les portes de la Semaine sainte », affirme Anne Lécu (l’entretien ayant eu lieu avant les Rameaux). Oui : en leur cœur salvifique, bienheureuse communion des saintes !

Pour Les Cahiers de la Paroisse Saint-François de Sales

Septembre-octobre 2022

1Jamar Dufaux, Matteo Ricci dans la Cité interdite, Dagaud, 2022

2Lire l’excellente biographie de Vincent Cronin, Matteo Ricci, Le sage venu de l’Occident, Albin Michel, 2010

3Kafir = Incroyant

4Pierre Varillon, L’épopée des chevaliers de Malte, Le Livre Contemporain – Amiot-Dumont, 1957

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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