« En prison, on ne peut pas tricher »

Delphine Dhombres visite chaque semaine des détenus en prison. Un engagement qu’elle nous explique.

Accompagner les plus vulnérables en milieu carcéral

Comment vous est venue cette idée d’accompagner des prisonniers ?

J’attendais quelqu’un à la Gare de Lyon lorsque j’ai été accostée par un homme qui sortait de prison. Il voulait de l’argent pour prendre un café. Je le lui ai offert et l’ai accompagné. Contrairement à l’idée que je me faisais des prisonniers, je n’avais pas un monstre en face de moi. J’avais juste un pauvre type complètement déboussolé, à la rue, mal habillé, ne sentant pas bon et abimé par les années de détention. 

Pourquoi vous êtes-vous engagée pour cette cause quelque peu particulière ?

J’ai entendu parler du manque de personne pour prendre les nouveaux-nés prématurés dans leurs bras afin qu’ils ne manquent pas d’affection. J’aurais adoré faire cela, mais cela ne s’est pas mis sur mon chemin. Je n’ai pas rencontré les personnes, les associations, la publicité qui ont fait que je me suis engagée dans cette voie-là. Alors qu’après ma rencontre avec ce sortant de prison, je suis tombée, par hasard, sur une carte des Petits Frères des Pauvres et tout s’est mis en place. J’ai répondu à un appel et je me suis laissée conduire.

Arrivez-vous à faire abstraction des délits qu’ils ont commis ? 

La première fois, avant de rentrer en prison, on se dit : « Je vais rencontrer des meurtriers, des pédophiles, des braqueurs… ». C’est le grand stress. Mais quand les détenus arrivent dans le parloir, c’est magique : vous ne voyez plus un prisonnier mais quelqu’un qui est habillé très simplement, marqué par des mois ou des années de détention. Alors on oublie le reste. En prison, on ne peut pas tricher. On n’est donc pas dans l’arrogance, dans l’orgueil, mais dans l’humilité, dans la vérité, l’authenticité des rapports humains. Et ce d’autant plus que les détenus que l’on rencontre n’ont, pour la plupart, pas de parloir, pas de promenade.

Pour quelles raisons ?

Nous visitons essentiellement des personnes âgées de plus de 50 ans. Elles représentent environ 10% de la population carcérale. C’est une population marginalisée. Le reste des détenus sont des jeunes plein de testostérone dont beaucoup viennent de banlieue. C’est un milieu extrêmement violent. Quand vous êtes âgés, sans famille, avec une santé fragile, vous n’allez pas en promenade car vous avez peur. Et encore plus si vous êtes incarcérés pour pédocriminalité.

Les personnes que l’on rencontre vivent donc enfermées 24/24 heures durant des mois et des années, dans une cellule de 9 m2, qu’elles partagent bien souvent avec deux autres détenus. Du coup, vous imaginez bien que lorsque vous avez quelqu’un de l’extérieur qui arrive, qui ne porte ni l’uniforme bleu de la pénitentiaire, ni une blouse blanche, c’est magique pour ces personnes-là. 

Quel est votre rôle ? 

Nous sommes là pour accompagner et être à l’écoute. C’est une écoute neutre, gratuite et bienveillante qui n’est pas juste récréative parce qu’ils sortent de leur cellule, mais qui les restaure dans leur humanité.

Avez-vous créé des liens avec certains détenus ?

Forcément mais il faut trouver la juste distance, ce qui n’est pas évident car quand vous allez voir un détenu, il met ses tripes sur la table. Rapidement, il va évoquer son délit, sa souffrance, ses regrets, ses difficultés. 

Ce sont des moments extrêmement forts parce que vous êtes dans une profondeur de l’être humain incroyable et que l’on se rend compte que le seul trésor que l’on a en partage c’est la rencontre et la relation, c’est d’échanger, d’être en présence.

Vous arrive-t-il de revoir des détenus à leur sortie de prison ?

Nous n’avons pas le droit, mais ils peuvent nous écrire via les Petits Frères des Pauvres, même quand ils sont en détention. Là je continue de correspondre avec un détenu qui a 70 ans, qui n’a plus de famille et qui est à Fleury-Mérogis. Je lui écris une à deux fois par mois parce que je suis le seul lien qui lui reste avec l’extérieur. 

Qu’est ce qui ne va pas dans nos prisons ?

La prison, aujourd’hui en France, est quelque chose de politique. Elle est à l’image de ce qu’en attend la société. Dans l’opinion publique, ceux qui ont fait le mal, il faut les punir voire même pour certains rétablir la peine de mort. Résultat : on n’a jamais autant incarcéré pour satisfaire la population et la rassurer. 

Mais la prison n’a pas pour unique finalité de mettre sous les verrous. Au XIXe siècle, on parlait de maison de correction. L’objectif était que la personne incarcérée puisse changer à l’intérieur de la prison et se réinsérer en sortant. J’aime beaucoup l’exemple canadien. Il parle de justice restauratrice. Ils ont un regard complètement différent sur la condamnation. Ils sont dans la prévention, la restauration, la réinsertion et nous, nous sommes trop dans la sanction. 

Qu’est-il fait en matière de réinsertion en France ?

Comme tout le monde (assistante sociale, conseiller d’insertion et de probation des peines, psychologues…) est débordé et dépassé par cette surpopulation carcérale, la réinsertion n’est pensée qu’au moment de la sortie du détenu alors qu’il faudrait y songer dès son entrée. Et ce avec l’idée de ne plus voir la prison comme un lieu de sanction, mais plutôt comme celui d’une reconstruction, d’une restauration. Cela permettrait de changer beaucoup de choses.

Propos recueillis par Benoît de Villeneuve

pour La Manche Libre

– 22 février 2020

REPERES

DHOMBRES

Delphine Dhombres est professeur de Français dans un collège de banlieue à Courbevoie. Cela fait une dizaine d’années qu’elle s’est engagée auprès des Petits Frères des pauvres. Elle a été bénévole au sein de l’hôpital carcéral dans un premier temps. Elle intervient, désormais, auprès des détenus. Hommes de l’ombre (éd. Nouvelle Cité) est son premier ouvrage.

AMOUR

« Un détenu m’a dit : « Pourquoi venez-vous voir des personnes comme nous ? Vous êtes jeune, vous avez une famille, n’avez-vous pas mieux à faire ? ». Cela le dépassait, mais cette écoute c’est le plus beau cadeau que vous leur faites. Lors d’une autre visite, il me dira cette phrase hallucinante : « Il faut que j’aille en prison pour découvrir ce qu’est l’amour ». »

CONDITION DE VIE

« Avec la surpopulation carcérale, il y a au minimum deux détenus dans une cellule de 9 m2. Les conditions de vie sont déplorables. Il y a du salpêtre, du moisi, J’ai croisé plusieurs fois des rats énormes, et, l’été, les cellules sont infestées de puces. De nombreux détenus attrapent des maladies comme la tuberculose par exemple. »

HOSTIE

« J’ai accompagné un mourant qui souhaitait recevoir la communion. L’aumônier de la prison était débordé. J’ai dû réclamer une hostie à un prêtre et l’ai mise dans une boîte à bagues. Je n’avais pas d’autre choix pour éviter que cela sonne, car il est interdit d’introduire quelque chose au sein de la prison. C’est suite à ce moment fort avec ce mourant que je suis redevenue croyante. »

EPILOGUE

« J’ai fait de nombreuses rencontres marquantes. Il y a quelques mois, un détenu qui savait que j’écrivais un livre m’a donné un texte et un dessin pour le prologue de mon livre. Je les ai mis en épilogue de mon ouvrage. C’est magique car ce détenu n’a pas dépassé la quatrième. »

MIROIR

« Il y a quelques semaines, un détenu qui avait tué sa femme me disait « Avant d’échanger avec vous, je ne pouvais plus me regarder dans un miroir. Depuis que vous venez me voir, que vous m’écrivez, je peux de nouveau le faire. » 

Vous êtes dans l’inhumanité, mais par l’écoute, un regard, un sourire, vous les restaurez dans leur humanité. »

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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