Cellules caniculaires

Alerte canicule ! … Sans oublier Fresnes et les autres prisons françaises, construites à l’ancienne.

Dans le meilleur des cas (rare), ils sont seuls, en cellule, les détenus ; le plus souvent, deux ou trois cohabitent dans 9m2. Caniculaires.

Sans air.

Sans « mouvements» (comme on dit des Promenades et des Transferts), sans mouvements d’air.

Ce mardi matin, il (personne détenue) me trouve dans mon boxe, effeuillée. Robe légère. Etoffe la plus fine.

Aérée.

Lui, je le retrouve en blouson. Dans son blouson d’hiver. Sans changement de saison. Ne va pas bien ? Malade ? Un problème psychiatrique ?

C’est le matin. Il fait déjà vingt bons degrés dans notre boxe, pareil à une cabine téléphonique dépourvue de fenêtre. D’aération.

Il me fait face, massif ; il sue à grosses gouttes dans son blouson ; j’étouffe. Nous évente tous deux en battant l’air de toute la pauvre amplitude de mon éventail de fortune.

Je pense aux trois Divisions au-dessus de moi, à toutes les cellules de part et d’autre du couloir, confinées, verrouillées ; je pense à toutes ces personnes âgées qui ne prennent pas l’air. Sans promenade. Doublement verrouillées. Sans clim. Sans changement d’air.

Et les heures les plus chaudes sont à venir …

« Heu … monsieur L. … : il fait donc si froid dans votre cellule ? :-)». Il s’éponge le front avec la petite pièce de tissu gris qui sert à nettoyer les lunettes. Je lui tends un mouchoir papier. Plus absorbant. Pour ses ruisselets d’eau. Qui dégoulinent tout le long de son front haut, de son nez épais, de son cou couleur terre. Comme la terre de mes collines provençales. Sèche, craquelée. Qui n’absorbe plus. Asséchée par les ans sans pluie. Réchauffement climatique oblige.

« Non, me répond-il, c’est que je n’ai rien d’autre à me mettre sur le dos. Je n’ai plus qu’un seul t-shirt … et encore, tout déchiré ! … Regardez … (et de retirer son blouson pour dévoiler une large gueule d’épaule saisie entre des crocs de coton noir) : je ne peux quand même pas me présenter à vous sans être correctement habillé ! Heureusement, je viens de prendre ma douche !». Oui, heureusement …

J’entrebâille la porte du parloir : nous bouillons. Tant pis pour la confidentialité ainsi que les cris, les alarmes et les bruits extérieurs qui parasitent, envahissent, perturbent l’échange.

Entre les murs, la chaleur est en passe d’enflammer les tensions. Sale période pour les matons. Et nous ne sommes que le matin. Et les pics de chaleur sont à venir. Je sens les surveillants au taquet, sous pression, encore plus vigilants que d’habitude.

Et de me reparler des rats, ensuite. Qui prennent l’air, « tranquilles», eux. Le matin et le soir. Et à l’ombre, au frais, eux, dans leur trou, le reste de la journée.

Et des puces, ensuite. Plein la literie, qu’on essaie pourtant de changer tous les deux mois ! Mais la dernière fois, à cause de l’ascenseur en panne, ils ont refusé de nous monter les draps ! N’arrive pas à s’en débarrasser ; il a le bras droit dévoré (je pense d’ailleurs qu’il m’en a refilé une ou deux, de puce, compte tenu des démangeaisons et des boutons que j’ai depuis).

Et de finir par revenir à sa cellule caniculaire : «A tour de rôle, avec mes co-détenus, on se colle le visage à la fenêtre, aux barreaux. Même qu’ils pourraient s’imprimer sur nos joues, les barreaux ! La porte restant fermée, impossible de faire courant d’air. On pourrait s’acheter un petit ventilo, mais quand on est indigent, quand on n’a pas beaucoup d’argent, vingt euros, ben ça reste beaucoup trop pour s’cantiner un p’tit bout d’ventilo » même tout petiot, le ventilo. A mettre à côté d’soi. Près de son lit. Un peu d’air. Juste une petite brassée d’air, comme ça (moulinet éolien, aérien, de la main, joint le geste à la parole),  comme ça : contre le visage.

Dans leur cellule. Cloisonnés. Comme de l’air enfermé. En bouteille. Compressé. Frelaté. Des cellules ensuées comme autant de canicules. Isolées.

Avec, pour tout mouvement d’air, le roulis, la gratuité et la force de l’imagin-aire.

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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