« Tu feras la tournée des villages ! »


Marseille – aéroport Marignane. H -2 avant notre envol, je retrouve Patricia. C’est peu dire qu’elle est chargée comme un sherpa ! Deux charriots pour contenir sa valise, mais surtout trois cartons sept fois plus gros qu’elle, pleins à craquer de couvertures pour le campement de Loumpoul. Elle m’avait d’ailleurs prévenue, me commandant de venir les mains « quasiment » vides pour prendre sur mon enregistrement le risque de surpoids.

Dès la file d’attente, nous ne perdons pas de temps : mon boss me briefe sur les journées, que dis-je ?, sur les heures à venir : visites d’écoles dans le nord-ouest sénégalais, rencontre avec un enseignant dès notre arrivée. « Comment ??? On n’ira pas juste à N’Deugou pour affermir notre action dans le village, auprès des villageois et des instituteurs ? (mince, moi qui avais préparé des « cours » pour une semaine, agrémentés de lettres de collégiens, envolés mes projets pédagogiques !).

– Non ! Si je viens avec toi, c’est pour que tu aies connaissance de nos différentes actions et projets, scolaires et médicaux, pour que tu visites les différentes écoles où nous intervenons, que tu rencontres nos différents interlocuteurs. Tu ne participeras pas au développement scolaire d’un seul village. Non : tu feras la tournée des villages !

– Yallaaaaa ! », comme ils disent là-bas.

Lundi 11 avrilM’Bour. Entrevue avec le directeur de l’école de M’Backe Djoloff. La nouvelle adhérente que je suis plonge, tête la première, dans l’historique d’un projet ébauché il y a deux ans : la création d’un jardin botanique à visées pédagogiques et éducatives, en collaboration avec la Brigade Forestière. Analyse des objectifs, des besoins, des chiffres, des désirs et de la réalité. Course à la photocopieuse. Liste des fournitures scolaires à apporter.

Nous quittons M’Bour le soir-même pour le campement de Loumpoul.

Mardi 12 avrilEcole de Rony Deugue. Echange avec les deux enseignants du village. Ceux-ci nous livrent leurs difficultés, comme leur découragement, à faire école dans ce coin reculé de brousse : les enfants qui ne sont pas scolarisés faute de moyens financiers et matériels ; désintérêt des parents qui ont davantage besoin de petites mains aux champs ; absentéisme et retards récurrents d’élèves qui doivent marcher cinq km pour venir jusqu’ici ;instit' Rony Deugue concurrence des écoles coraniques ; désengagement du département pour manque de résultats : « Oui, pas de résultats, mais comment faire quand on n’a pas de moyens ? Ceux qui font vivre l’école, ce sont les toubabs (les touristes) de passage, ceux qui nous apportent du matériel. (Sempiternelle histoire du serpent qui se mord la queue). Ce qui nous paraît nécessaire, c’est la création d’une cantine pour favoriser un vrai temps de présence, à l’école, des enfants. Nous ne pouvons obtenir des résultats tant que les enfants ne sont pas pleinement présents. Il faudrait pouvoir assurer soixante-sept repas. Nous aimerions aussi des uniformes, à visée publicitaire, mais aussi pour que les parents soient fiers », expliquent tour à tour le directeur et son adjoint.

Pas d’appartement de fonction ici. Pas même un lieu de vie. Tous deux se partagent… « une chambre ? Un local ? On ne sait pas comment dire » ; un réduit, pour moi : un débarras entre deux classes. De quoi y disposer un matelas, des cartons, un seau d’eau, un balai de brindilles, un vieux bureau sur lequel ils « rangent » fiches, cahiers, tasse, cuiller, gel, stylos, lait en poudre.

Fatigué, pris de maux de tête, le directeur nous demande si nous avons des comprimés vitaminés. Il enchaîne : « Je ne peux enseigner ici que parce que j’ai accepté l’inacceptable. Je me bats ! ». Son adjoint : « J’ai vingt-huit ans. Quatre ans que j’enseigne ici. On a souvent faim. On n’a pas la possibilité d’acheter des compléments pour manger. On n’a que le tiéboudienne préparé par les femmes du village », cette platée de riz ô combien incomplet. Malnutrition. Un jardin botanique là aussi ? « Pourrait-on faire pousser des citrons, des oranges, des papayes, des corossols, des bananes ? ». Un voeu pieux Patricia ? Des besoins oui, mais avant tout alimentaires.

friche

Mercredi 13 avrilEcole de Loumpoul. Cinq enseignants. Centre quatre-vingt-huit élèves. Ici, il y a même des cours d’arabe pour récupérer des élèves de l’école coranique. Retour, avec le directeur, sur le jardin laissé en friche, abandonné aux chèvres. Comment ressusciter le premier projet ? Diviser cet espace en deux, une partie fruitière, l’autre maraîchère ? Besoin d’une vraie clôture comme d’une vraie porte. Comment responsabiliser lesordinateur élèves (et les enseignants) ? Possibilité de panneaux solaires. A étudier avec un technicien. L’école fonctionne suffisamment bien pour suivre les directives et les programmes en matière d’informatique. Souhait matériel de modernisation : se défaire du vieux PC bedonnant pour des ordinateurs portables et une photocopieuse. Le haut débit bientôt à Loumpoul ? Serait-il possible que le numérique soit plus facile à implanter que des citronniers ?

 

Jeudi 14 avrilEcole de N’Deugou. Rencontre avec les trois enseignants du village. C’est l’heure du bilan. Une véritable réunion pédagogique s’improvise dans la case du directeur. La classe de CM2, vidée de moitié depuis novembre dernier : besoin de mains dans les pépinières ; désintérêt des parents (cette génération d’enfants est la première à être scolarisée : les vieux schémas ont la vie longue !) ; concurrence de l’école coranique. Eux, ils ont besoin d’outils pédagogiques : livres de lecture, une méthode d’apprentissage syllabique, dictionnaires, mappemonde, cartes de géographie, en plus des fournitures habituelles, en plus de la dernière salle en dur à construire, en plus de toilettes jouxtant l’école et, accessoirement, d’une bibliothèque. Pour appâter les parents, donc les enfants, l’argument ne serait pas, ici, d’ordre alimentaire, mais de santé publique : une trousse à pharmacie, la seule du village ! Un trésor de médocs que dispenserait l’instituteur chef.

Puis retour à l’école, auprès des élèves. Le temps fort de mon séjour. Tous les enfants sont rassemblés dans l’une des salles. Les instituteurs leur présente les lettres écrites par mes petits français. Ils improvisent une lecture à plusieurs voix, dans un silence aussi respectueux que royal. Bien sûr, les enfants ne comprennent pas tout, mais quelque chose de magique se crée. Cette lecture introduit de l’événement dans leur quotidien, devient ensuite échange en favorisant un passage à l’écriture. Chaque élève joue le jeu, s’applique à rédiger, sur ses genoux – faute de tables – quelques lignes, à dessiner un objet de son monde, à noter le prénom exotique des destinataires. Le moment est tantôt sérieux, tantôt drôle.

correspondance

Mais pas le temps de s’attendrir ! C’est déjà l’heure de lever le camp !

Vendredi 15 avril – Retour à M’Bour. Journée à palabres.

Samedi 16 avril – Achat des fournitures scolaires. Nous gagnons ensuite l’est sénégalais, l’arrière et le coffre de la voiture pleins de packs de craies, stylos, cahiers, règles, en sus de nos bagages. En cours de route, nous nous arrêtons à un Poste de la Croix Rouge pour un état des lieux, en vue d’un partenariat avec des infirmières stagiaires.

croix rouge

C’est rudimentaire, mais propre. Un lit de ferraille cliniquepour accouchées :

« (…) cinquante-huit, précise l’aide-soignante en pointant du doigt le registe.

– … depuis ce début d’année ? Pas mal…, commente Patricia.

                                           – Non. Depuis le début du mois ».

Nous arrivons à destination au couchant du soleil, sous les cris de joie des enfants.

Dimanche 17 avrilEcole de M’Backe Djoloff. Matinée plus administrative : comptage des fournitures pour clarifier les comptes et réclamer les pièces, hélas, manquantes. Après-midi à Dahra. Rencontre avec le médecin de la clinique pour un état des lieux. Achat de ballons au marché pour les enfants du village.

Lundi 18 avril – Cérémonie pour la remise officielle du matériel apporté.

Tous les élèves se rassemblent, ainsi que les enseignants, dans l’une des salles de cours. Le représentant des parents d’élèves nous honore de sa présence. Discours du directeur de l’école et de la Vice-présidente de l’Association. Puis s’ensuivent des chants et des danses : moment de fête improvisé par les élèves pour nous remercier. C’est gai, joyeux, haut en couleurs et en sourires. Ils si sont fiers et contents !

Retour à Dahra dans l’après-midi. Rencontre avec le chef de la Brigade forestière pour finaliser le projet du jardin botanique de l’école. Il manifeste son souhait de sensibiliser les enfants aux problèmes de leur environnement afin de toucher les parents, dans le but de modifier leurs pratiques et leurs mentalités : journée porte ouverte, intervention hebdomadaire à l’école, accompagnement des élèves dans la gestion de leur jardin.

 

Mardi 19 avril – Retour vers la côte ouest au petit matin. Le temps de visiter un centre pour handicapés près de M’Bour, j’arrache mon boarding pass à l’enregistrement avant de m’envoler…

… Des notes et des projets saisis au vol de mes rencontres. Une tournée de villages qui n’en sont pas rendus au même point, qui m’a permis de mesurer la diversité de leurs besoins : alimentaires, informatiques, pédagogiques, médicaux, de « développement durable »…

Yallaaa ! Ben y ‘a plus qu’à … !

(Feuille de route de ma semaine au Sénégal – avril 2010  ; e-letter pour Solidarité Enfance Sahel)

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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