Bénévolat d’accompagnement et culture palliative : quels engagements ?

photo 1Merci de me laisser la parole. Je vous prie dors et déjà de m’excuser si elle est maladroite : pour sûr, je n’aurais jamais imaginé, il y a huit ans en arrière, que je viendrais un jour témoigner, engager ma parole dans un vaste auditorium hospitalier1, au sujet d’un bénévolat qui relève davantage de la présence et de l’écoute que du discours.

Sur 1400 bénévoles parisiens petits frères des Pauvres, 80 environ accompagnent, dans une dynamique palliative, des personnes malades, gravement malades, voire en fin de vie – en institution comme à domicile. Une action qui ne va pas toujours de soi, à rebours de nos représentations du vivre, du souffrir, du mourir. Une action qui expose, interroge, engage le bénévole dans son rapport à la personne malade, aux institutions et d’abord à lui-même.

Nous verrons comment, plus qu’une action, plus qu’une culture, le palliatif, le prendre soin de la personne malade dans sa globalité, reste avant tout une posture, une façon d’être à offrir.

Un engagement personnel du bénévole vis-à-vis de lui-même

On ne naît pas bénévole d’accompagnement, on le devient : session d’intégration, formations diverses, transmission hebdomadaire des visites, groupe de parole mensuel, réunions de terrain, entretien annuel, le bénévole est formé, suivi, accompagné en continu, dans un esprit professionnel et fraternel, afin d’accompagner au mieux, au plus près, en finesse.

Se former, s’informer, s’interroger, prendre du recul avec ses émotions, son ressenti, les difficultés rencontrées, permet de nous remettre en cause, de nous enrichir des pratiques des autres, de nous ajuster aux personnes comme aux situations, de nous affiner pour offrir un accompagnement de qualité, dans la fidélité et la durée.

Etre accompagné et rester à l’écoute de soi est fondamental du fait, d’une part, que ce type de bénévolat, qui a partie liée avec la maladie, la dégradation, la souffrance et la mort, nous confronte souvent à nos propres limites, à notre vulnérabilité. D’autre part pour pallier au maximum le risque de lassitude en travaillant à maintenir, à nourrir le désir de la rencontre ainsi qu’une qualité de présence, d’accueil et d’écoute inconditionnels du patient, dans une joie, une fraîcheur, un émerveillement toujours renouvelés.

Un engagement solidaire, fraternel vis-à-vis de la personne accompagnée

Notre équipe petits frères a pour mission de rencontrer les personnes les plus pauvres – en l’occurrence, dans le cadre de la maladie, les personnes les plus fragiles, souffrantes, isolées, sinon abandonnées, en fin de vie (vieillards détenus, sans famille, à l’EPSNF2 et à l’UHSI3 ; des vieillards abandonnés, oubliés, entre deux prises de constantes dans des USLD4 mouroirs ; des malades qui souffrent de solitude, s’ennuient à mourir en SSR5 entre autres).

Photo 063Le bénévole rencontre, écoute, accompagne. Accompagner, c’est apprendre à accueillir l’autre tel qu’il se présente. C’est être avec, faire avec, sinon composer avec la joie comme avec la colère, avec la paix comme avec la souffrance, avec la grâce comme avec la dégradation, les odeurs, les salissures. C’est composer avec la parole comme avec le silence, avec l’exubérance comme avec le repli sur soi, avec la vie comme avec la maladie, la souffrance, l’agonie : le bénévole reçoit, prend tout entre ses bras, sans trier. Sans juger, ni trier, ni rejeter. Comme un frère. Jusqu’à devenir, parfois, personne de confiance.

Bien sûr il n’y a pas de contrat écrit, mais un engagement du cœur, en toute humilité, qui vise à vivre un compagnonnage dans la régularité et la fidélité (la continuité, même, en cas de changement d’établissement).

Il s’agit bien entendu d’être disponible à la famille, à l’entourage si besoin est, aux aidants.

Etre présence, enfin, jusqu’au bout de la vie, jusqu’aux funérailles parfois, même au-delà en prolongeant le souvenir du défunt lors de notre Temps de mémoire annuel, où il est fait souvenance, en fraternité, des personnes accompagnées.

Un engagement collectif

… avec les partenaires hospitaliers

On ne répétera jamais assez combien il est important de développer le partenariat avec le personnel soignant pour accompagner au mieux la personne dans sa globalité. Delà à dire que l’accompagnement fait partie du prendre soin, il n’y a qu’un pas, franchi de façon inégale selon les milieux hospitaliers.

Signalements de l’équipe médicale quant à la priorité des visites, débriefing d’après-visites, cahier de transmission, participation ou non au staff, à la Commission des Représentants des Usagers, partage du secret médical (ou non), sans compter la galette des rois en toute fraternité et convivialité : autant de temps de moments d’échanges faisant du bénévole d’accompagnement un partenaire non négligeable, mais bien complémentaire, pour mieux prendre soin du malade en répondant à ses différents besoins.

Ensemble, quand le partenariat est fructueux, nous nous efforçons de façon personnelle, avec nos clefs d’écoute, de compréhension et d’intervention propres, avec nos moyens et nos limites, de répondre, avec souplesse, à chaque besoin.

Dans les institutions qui ne peuvent offrir que quelques lits dédiés, le bénévole participe de la prise en chage globale du patient dans l’écoute et l’accompagnement des souffrances psychologiques, sociales et spirituelles ; il s’engage, est présence, pour aider les soignants limités par nombre d’impératifs dans leur temps, leur posture et la spécificité des soins prodigués.

St Antoine_Arielle (25)NBQuand l’utilité de la présence est reconnue, quand estime et confiance réciproques soudent les équipes, on peut aller jusqu’au partage du « secret » médical comme de la confidentialité de l’entretien, si cela est justifié : protéger le bénévole ou la personne malade – une question de vie et de mort parfois (le bénévole pouvant recueillir les raisons non communiquées aux soignants d’un refus de soin, d’une grève de la faim ou d’un projet de suicide).

… dans une synergie associative

Notre petite équipe a aussi pour mission de diffuser notre mode d’accompagnement au sein des actions classiques de l’association afin de pouvoir permettre aux bénévoles, qui ne sont pas confrontés à la maladie, de pouvoir accompagner dans la continuité les personnes âgées isolées, hospitalisées, atteintes d’une maladie évolutive dès lors qu’elles tombent malades, deviennent dépendantes. D’où la création d’un « Pôle ressources », national, consultatif, force de conseils pour aider les bénévoles mis en difficultés dans le suivi des personnes, contraints qu’ils sont d’infléchir leur posture, de passer de l’animation à l’écoute, de l’agir à l’être (même si, dans la réalité, bien entendu, les choses ne sont pas aussi tranchées).

Un journal intra-associatif, L’Inattendu, témoigne de notre spécificité d’être à l’autre. 

Outre le défi d’étendre cette posture palliative au sein de l’association, l’un des enjeux pour nous, demain, serait aussi de rencontrer, d’échanger et de collaborer davantage en synergie avec les autres associations bénévoles d’accompagnement pour accompagner ensemble les plus vulnérables6.

Un engagement sociétal

Etre bénévole d’accompagnement reste en soi une prise de position sociétale, à rebours des idéaux, des représentations de vie, des priorités et intérêts de notre société. « C’est triste, c’est pas drôle, à quoi ça sert ? Vaut mieux s’occuper des jeunes. Ça sert à rien. Mieux vaut mourir que de vivre comme ça ». A rebours de la « culture du déchet, du rebut »7. Surtout quand vous cumulez les « pauvretés » que sont, aux yeux du monde, la maladie (physique, psychique), la vieillesse, le handicap, la dépendance, l’isolement, l’indigence, l’emprisonnement.

A titre individuel ou collectif, les petits frères des Pauvres, comme bien d’autres associations, multiplient les initiatives pour témoigner, alerter, sensibiliser les citoyens et redonner ainsi intérêt et dignité, voire grâce, beauté et tendresse à la maladie, à la vieillesse, au handicap, à la fin de vie, qui restent autant de manières d’être au monde.

Nos actions sont multiples qui vont de blogs personnels de bénévoles aux FullSizeRender-6participations à des congrès, salons, en passant par les campagnes d’affiches, publicitaires, site internet, interventions auprès d’étudiants infirmiers, sans compter la célébration de temps forts comme les 10 ans de bénévoltat à l’hôpital carcéral de Fresnes, où les 75 ans de notre action qui seront fêtés ce lundi 23 mai à l’Olympia, entre bénévoles et personnes accompagnées.

Des créations aussi, comme le film documentaire de Yan Prokof Une présence inconditionnelle, et surtout un recueil de témoignages pluridisciplinaires, Les don Quichotte de l’espoir, qui sera publié ces jours prochains8.

Sans oublier l’opération Les fleurs de la fraternité , offertes aux passants, le 1er octobre, à l’occasion de la Journée internationnale des personnes âgées.

Des fleurs avant du pain

Pour conclure, je voudrais revenir sur ma phrase de départ : « On ne naît pas bénévole d’accompagnement, on le devient ». C’est vrai. Et faux. Aussi permettez que je parle de moi.

Aujourd’hui, je me rends compte qu’il est un temps pour apprendre, puis un temps pour désapprendre, oublier. Aujourd’hui, je me rends compte que, pour vivre au mieux la rencontre, il me faut d’abord, par-delà ma casquette « professionnelle » de bénévole, rester moi-même, sincère, vraie, authentique. Pour résonner en vérité avec l’autre. La rencontre : deux « je » qui se rencontrent. Deux visages. Alors fi des blouses bleues, des blouses roses, des blouses blanches.

Il est de notre responsabilité à tous, et nul besoin d’être bénévole pour cela, d’engager nos propres ressources humaines pour répondre « Présent ! » ici et maintenant, d’une parole, d’un sourire, d’un geste, d’une écoute attentionnée, délicate, sinon tendre, pacifiée et pacifiante, apaisante, pour accompagner les dernières années, mois, semaines, jours, heures, instants d’une vie saisie, jusqu’au bout, par delà les maux, dans la plénitude de deux existences qui se rencontrent, en toute simplicité, en toute humilité, à partager comme du bon pain odorant, savoureux, goûteux, encore tout chaud.

Paris,

Samedi 21 mai 2016

Communication pour le Collectif francilien d’accompagnements bénévoles

en soins palliatifs et deuil

A l’occasion de la journée des soins palliatifs en Ile de France

1Hôpital Georges Pompidou, Paris XVème

2Etablissement Pénitentiaire de Santé National de Fresnes

3Unité Hospitalière Sécurisée Interrégionale

4Unité de Soins Longue Durée

5Soins de Suite et de Réadaptation

6 Ainsi avons-nous participé à La journée des associations organisée à l’hôpital Rothschild, par l’hôpital st Antoine, et participons aux réflexions entreprises par la Mairie de Paris quant au plan seniors. 

7Pape françois, Laudate si

8Disponible à partir du 13 juin, aux éditions Glyphes

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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