Visages de la pauvreté en hôpital carcéral

img_4784Pour l’Equipe Accompagnement des malades des petits frères des Pauvres, accompagner des détenus à l’hôpital carcéral de Fresnes ou en Unité Hospitalière Sécurisée, c’est aller au-delà du mal, des maux, c’est aller au-devant de personnes d’une grande vulnérabilité physique et psychique.

C’est rencontrer des hommes condamnés à purger leur peine dans des lieux inadaptés, une peine qui, dans les faits, compte triple, quadruple, quintuple, sextuple quand elle cumule enfermement, indigence, vieillesse, isolement, solitude, maladie grave, handicap, dépendance, fin de vie.

Une peine qui parfois, dans l’attente d’une suspension qui peine à venir, ne vaut plus la peine d’être purgée quand démence ou Alzheimer s’en mêle : un bénévolat qui interroge assurément et fait grandir conjointement notre humanité.

Nous sommes aujourd’hui une équipe de huit bénévoles de l’Equipe d’Action Spécifique – Accompagnement des malades – à accompagner toutes les semaines des personnes âgées détenues et malades à l’EPSNF et à l’UHSI de la Salpétrière.

Pour ce qui est de l’hôpital de Fresnes, nous nous rendons dans les services de Médecine, Soins de Suite et de Réadaptation, et Rééducation. Sur trois heures de visite, nous rencontrons quatre-six détenus dans leur chambre au gré des signalements.

Qui rencontrons-nous ? Les plus pauvres d’entre les pauvres.

Des hommes et des femmes doublement marginalisés. D’une part parce qu’ils sont exclus de la société de fait, du fait de l’incarcération, de leur méfait. D’autre part, parce qu’inadaptés au lieu, ou parce que ces lieux sont inadaptés au vieillir : ils sont exclus comme ils s’auto-excluent à l’intérieur-même de la prison, du fait de leur délit (pour les « pointeurs », les pédophiles), de leur tempérament (trop agressif ou timoré), de leur grand âge, de leur maladie ou handicap qui rendent promenade et cohabitation difficiles, sinon impossibles.

En détention, il y a beaucoup de personnes âgées de plus de cinquante ans. De plus de quatre-vingts ans. Ce qui ira en s’accentuant du fait du vieillissement de la population. Indigentes pour certaines – elles n’ont parfois qu’une blouse d’hôpital à se mettre sur le dos ; fragiles physiquement et psychologiquement pour d’autres qui ne veulent plus sortir en promenade pour ne pas encourir l’agressivité des jeunes (elles préfèrent alors passer des jours, des semaines, des mois enfermées dans leurs quelques mètres carrés de chambre-cellule) ; complètement isolées pour d’autres encore qui n’ont plus de parloir, de visite, de famille, de liens avec l’extérieur – nous sommes alors leurs seuls connaissances, amis, famille (ce dont ils nous témoignent, entre autres, lors de la réception de notre carte de vœux) ; gravement malades, grabataires, dépendantes, démentes, en fin de vie, pour quelques-unes, pour qui le bénévole, ni blouse grise, ni bleu uniforme, reste une bulle d’air multocolore et joviale d’un lointain ailleurs : ce précieux cadeau, prodigue en temps, écoute, présence et sourire qui lui confirme qu’il demeure, malgré tout, un homme, qu’il conserve, envers et contre tout, toujours sa dignité d’homme.

Notre action est jeune d’une quinzaine d’années. Elle est unique en France. Et bien marginale. Pour nous, c’est le rêve de la voir se développer dans les huit UHSI de France.

C’est l’une des actions petits frères où les bénévoles se caractérisent par la force et la fidélité d’un engagement qui méconnaît ennui, routine et lassitude. Pour ma part, cela fait plus de cinq ans que je laisse époux et enfant tous les samedis matins, après une grosse semaine de travail, malgré les trois heures de transport en commun, pour retrouver, dans le sud de la banlieue parisienne, ces hommes et ces femmes « qui ont fait le mal », comme on me le rappelle sans cesse. Des voleurs, des braqueurs, des criminels, des pédophiles, etc, oui. Tout ça. Et tellement plus aussi. Pour des personnes en rupture de ban, à l’histoire d’une grande violence.

Et pourtant.

Et pourtant le miracle de la rencontre a lieu. Ailleurs. Bien plus loin et bien plus haut, via notre face à face, nos pauvres visages d’homme qui se dévisagent, qui s’envisagent, entre des murs sombres, entre porte et barreaux, par-delà les maux, nos mots, dans des instants de vérité, d’humanité, de dignité, d’une vérité, uniques, à nulle autre pareille, d’une profondeur et d’une densité rares. Aussi belles que précieuses. D’une infinie richesse.

Et ça, il faut le vivre pour le croire.

Témoignage

pour l’atelier prison

pour le congrès anniversaire des petits frères des Pauvres

« Les visages de la pauvreté »,

Lille, vendredi 14 et samedi 15 septembre 2016

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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