The wall

Nouvelles de là-bas à mon retour : “Une femme âgée de 24 ans, enceinte et mère de deux petites filles, ainsi que son frère de 16 ans, ont été tués le 27 avril au point de passage de Qalandia”, rapporte le journal palestinien Al-Ayyam. Du sang. Encore et toujours. Des Palestiniens, des Israéliens. En Israël, en Palestine, en Cisjordanie, à Jérusalem. Est, ouest. Zone A, zone B, zone C. Qu’importe. Comme la veille de notre arrivée, un bus explosé, une vingtaine de morts. Comme le 8 mars, comme le 4 mars, comme le 16 février, comme … comme … la liste est longue qui jamais ne s’arrête, sur cette terre, sur leur terre, ensoleillée, chaude, brûlante. Explosive. Sous hautes tensions. Toujours.

Et pourtant,

ce n’est pas tout.

Oui, nous, pèlerins à la douzaine, avons vu les murs dressés pour couper les villes, séparer les êtres, sans tenir compte parfois des terrains, des orangers et des puits.

Oui, nous grincions des dents, ne pipions mots aux check-point – que nous avions interdiction de photographier – lorsque des soldats tout jeunots inspectaient soutes et passagers du car, mitraillette en main, ou lorsqu’ils nous barrèrent la route, nous imposant de rebrousser chemin et de passer par un autre point de contrôle pour sortir de Naplouse et re-rentrer en Israël. Surtout, consigne : faire ceux qui ne comprennent rien I don’t understand à toutes les sauces, à toutes les questions, à toutes les douanes.

Oui, déjà là, rien qu’avec cela, ils nous tapaient sur les nerfs, à nous, touristes du dimanche.

Et pourtant,

ce n’est pas tout.

Oui, nous hallucinions à la lecture des panneaux rouges, en bord d’autoroute :

« Entrance to palestinien territory,

the entrance for israeli citizen is dangerous »

Oui, nous étions stupéfaits, aux portes de la vieille ville de Jérusalem, par les contrôles d’identité musclés et la fouille au corps de jeunes palestiniens, maintenus face contre mur, jambes et bras écartés, des minutes durant, humiliés, sous le regard goguenard de jeunes juifs. Qui provoquait l’autre ? 

Oui, c’est vrai. Et pourtant ce n’est pas tout.

Ce n’est pas que cela,

toute cette violence, cette désespérance, cet état unique de guerre bien connu chez nous, véhiculé et amplifié par les médias. Comme de l’huile sur le feu.

Des médias ignorant tout le reste : les réussites comme les ponts humblement construits à mains d’hommes ordinaires, loin des considérations géo-politico-religieuses, loin de tout emprisonnement idéologique.

Des médias indifférents, méconnaissant les cailloux posés par plus d’un, des anonymes – chrétiens, juifs, musulmans, toutes nationalités confondues – telles des fourmis ouvrières réparant, petitement, à hauteur de quartier, tant bien que mal, les tunnels de communication endommagés, meurtris. Des anonymes, telles des pierres angulaires, générateurs de rencontres improbables à cimenter, rencontres d’une richesse culturelle et humaine à nulle autre pareille. Autant de David contre le Goliath de la haine pour des victoires lilliputiennes arrachées à la violence, méconnues, qui feraient moins l’buzz …

Parce qu’il s’agit, là-bas, sur cette terre de feu et de sang, aussi et surtout de bien autre chose. Parce qu’il s’agit aussi de défis, de projets communs et du désir ardent de rencontrer l’autre, au sein d’une mosaïque humaine au difficile agencement, avancement, où chacun doit encore gagner sa place.

Ainsi, entre autres témoignages, celui du Père Rafik à Jérusalem. Libanais, arabe, chrétien maronite, prêtre de France, il s’occupe de petits palestiniens après l’école, tout en préparant une traduction, une étude, en hébreu, d’un mystique arabe : « Une première ! Un cadeau pour mes amis juifs, pour que nous apprenions à nous connaître ».

Ainsi d’une Soeur de Taybeh (en Cisjordanie occupée) à la recherche d’animateurs pour donner des cours de français, l’été prochain, à des ados palestiniens1.

Ainsi du Frère Olivier, qui nous a accueillis bras ouverts dans son monastère, sur le chemin d’Emmaüs : « Ici, c’est un pays hallucinant, pour le pire, oui, mais aussi et surtout pour le meilleur, même si on n’en parle jamais.

Imaginez ! C’est, par exemple, l’histoire complètement dingue d’un moine chrétien, bénédictin, catholique, français, qui, un jour, se retrouve à bénir des pasteurs (protestants) africains – papous qui plus est ! (Ils avaient quand même retiré leur anneau du nez pour ne pas être embêtés à l’aéroport !) -, dans un village musulman, en Israël ! Faut quand même le faire ! Oui, des rencontres inimaginables, miraculeuses ! Nous ne cessons de vivre ici des rencontres complètement surréalistes ! Il faut que les gens se rencontrent et fassent des chosent ensemble pour faire tomber les murs du cœur.

Ici, nous les moines, nous entraînons de jeunes footeux palestiniens et israéliens dont l’équipe a été sélectionnée pour venir jouer chez vous, en France, dans le 93, et ce, grâce à un mécène juif (mais ça, évidemment, on n’en parle pas).

Vous savez, un jour, j’ai dû m’absenter pour rendre visite à des écoliers palestiniens, de l’autre côté du mur. Eh bien figurez-vous qu’un de mes petits israéliens s’est précipité dans mes bras, avant que je ne parte, pour me demander de ne pas oublier d’embrasser, pour lui, ses amis musulmans !

Non, je vous le dis : on n’a pas le droit de désespérer du cœur de l’homme ! Vous savez, ici, sur cette terre, nous sommes tous un peu comme les pèlerins d’Emmaüs … une très belle histoire, vous savez : l’histoire d’une rencontre qui ouvre sur tous les possibles, pour peu que nous ayons le cœur ouvert.

Nous, ici, nous sommes un peu comme un pont qui permet, pas toujours c’est vrai, mais parfois, à des Israéliens de se dire : « Si moi, jeune soldat, de 20 ans, israélien, arabe, je peux rencontrer un moine catholique et sympathiser avec lui, alors beaucoup de choses deviennent possibles … ».

Oui, je vous le dis, et il faut le dire, le faire savoir, malgré tout ce que vous disent les médias à longueur de temps : ne désespérez jamais du cœur humain car il est capable de faire tomber bien des murs ».

Paris, jeudi 28 avril 2016

1Si cela t’intéresse, tu peux contacter la communauté via leur site : www.taybeh.info/fr/

A propos Delphine Dhombres

Née en 1975. Oblate bénédictine, bénévole d'accompagnement Petits Frères des Pauvres à la prison de Fresnes, catéchiste, coordinatrice du Dialogue interreligieux (paroisse Saint-François de Sales, Paris XVII) & professeur de Lettres modernes en banlieue parisienne (92).
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